L'Obs

L’immense pari sur l’Europe

- l’éditorial de jean daniel Retrouvez le blog de Jean Daniel sur Nouvelobs.com

1. L’Europe

On nous reproche d’avoir été jusqu’ici peu motivés par les problèmes européens. C’est vrai. J’ai pensé moi aussi que la complexité de la machine européenne et de sa bureaucrat­ie nous éloignait de l’idée fondatrice d’une Europe pacifique et généreuse. Il m’est même arrivé d’estimer que l’on n’y pouvait rien. Et que ce n’est pas un article, comme celui-ci, qui pourrait y changer quelque chose. Or on découvre vite la frivolité d’une telle attitude. Car ce serait grave, très grave si, sur les 751 députés qui doivent être élus dimanche prochain, il y avait, par la faute d’un seul d’entre nous, une majorité pour incarner tous les extrémisme­s, le conservati­sme, le racisme et le retour en arrière même sur l’avortement et la peine de mort. Il faut empêcher cela. Il faut tout faire et d’abord vaincre ce qui se dissimule en chacun de nous : l’ennui, la distance, le scepticism­e, l’individual­isme, tout ce que nous analysons tous les jours dans nos journaux les mieux écrits en croyant que la « psychanaly­se » des autres justifie notre passivité. Car il faut tout de même rappeler l’essentiel ! Parmi les candidats des 28pays, il y a des partisans de la sortie de l’Europe et de la disparitio­n de l’euro. Ces gens-là, qui d’ailleurs appartienn­ent à des formations politiques souvent très opposées les unes aux autres, seraient responsabl­es non seulement d’une impasse économique effrayante, mais de l’effacement d’une des plus belles pages de l’Histoire. Or, quels que soient ses dysfonctio­nnements, l’Europe est une idée française, pensée et réalisée par des Français, qui ont eu assez confiance en eux pour ne pas craindre que cela porte atteinte à leur autonomie ou à leur souveraine­té. Ils se sont dit au contraire avec Jaurès : « C’est enallant vers lamer que le fleuve reste fidèle à sa source. » Jaurès, c’est ce que nous avons de mieux dans notre Panthéon pour défendre l’universel tout en protégeant les racines et l’histoire du particulie­r. C’est un vieux débat. Nous l’avons régulièrem­ent. Et nous l’avons eu, ici même, quand les oui se sont opposés aux non en 2005. Laurent Fabius qui, alors, avait choisi le non, se justifiait en croyant pouvoir démontrer qu’il y avait une troisième solution. Mais c’est de l’histoire ancienne. Aujourd’hui, d’anciens « nonistes » et des ex-partisans du oui ne finissent-ils pas par se rejoindre? En effet, le danger est immense, et l’indifféren­ce n’est plus permise. Je ne savais pas que j’aurais encore à écrire des choses de ce genre : raison de plus pour le faire !

2. Les arsenaux de Kadhafi

Pendant mon récent séjour en Tunisie, où la situation m’a tantôt réconforté, tantôt préoccupé, j’ai rencontré des hauts responsabl­es parfaiteme­nt lucides et s’interdisan­t le pessimisme. D’abord il y a la liberté conquise

Quels que soient ses dysfonctio­nnements, l’Europe est une idée française, pensée et réalisée par des Français, qui ont eu assez confiance en eux pour ne pas craindre que cela porte atteinte à leur autonomie ou à leur souveraine­té.

par la révolution et sur laquelle on ne peut pas revenir. Ensuite il y a la Constituti­on qui fait de la Tunisie un Etat de droit. Sans doute y a-t-il une économie gravement bouleversé­e, mais qui, avec une aide massive, efficace et immédiate, peut redémarrer. Cela dépend beaucoup des alliés de la Tunisie. Mais la grande affaire demeure la Libye, devenue incontrôla­ble, où la contreband­e des armes ne connaît pas de fin. On parle encore de ces armes que les djihadiste­s ont pillées dans les prodigieux arsenaux du tyran. Pendant ces trois derniers mois, où le djihadisme menaçait de reprendre sur le sol tunisien, le pays a reçu l’aide de la France, de l’Allemagne, du Maroc, de la Turquie et du Qatar. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se sont refusés, eux, à toute espèce d’interventi­on et aussi de coopératio­n. Il serait long aujourd’hui, il sera passionnan­t demain, d’enquêter sur les raisons qui ont conduit chacun de ces pays à aider la Tunisie dans ce contexte. On aura des surprises pour ce qui est de la Turquie et de l’Allemagne. La guerre au Mali est une des conséquenc­es de la guerre civile libyenne. Après le renverseme­nt de Kadhafi, des mercenaire­s touaregs au service de la Jamahiriya arabe libyenne ont fui vers le Sahara et rejoint des mouvements rebelles touaregs. Aujourd’hui, malgré l’éclat de la victoire des troupes françaises en 2013 sur les islamistes, certains stratèges ou généraux déclarent, comme récemment dans le magazine « Jeune Afrique » : « Nous avons gagné une bataille mais nous avons perdu une formedegue­rre. » En Libye, d’où vient tout le mal, l’échec est tel que l’on envisage une partition entre la Tripolitai­ne et la Cyrénaïque. Les Tunisiens parachèven­t le tableau en rappelant que les 800000 ouvriers libyens qui ont émigré en Tunisie sont une charge écrasante, et parfois des foyers de subversion.

3. Re tour vers le s miens

Depuis mon retour, j’ai accumulé des lectures qui ont pour point commun l’enchanteme­nt qu’elles m’ont procuré. D’abord, l’élégant petit essai de Mona Ozouf sur Jules Ferry. Rappelons que Jules Ferry a été responsabl­e de l’occupation de la Tunisie et que, par la suite, il a fustigé le colonialis­me, travaillé sur les rapports avec l’islam et surtout donné ses fondements à l’école laïque et républicai­ne. Mona m’a ravi par une maîtrise qui ne cesse de s’élever. Cette souveraine­té simple pour trouver le mot juste rappelle Tocquevill­e, mais aussi François Furet. De même, j’aurais voulu pouvoir écrire la préface, je dis bien la préface, du petit essai de Jacques Julliard sur Simone Weil. Il me semble que chacune de ses phrases exprimait ma propre pensée. Depuis longtemps, cette « juive non juive » nous passionne.

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