L'Obs

Nigeria : le terreau de Boko Haram

- R. B.

Comment une secte islamiste comme Boko Haram (« L’éducation occidental­e est un péché », en langue haoussa) qui entend imposer par le terrorisme la férule de la charia, a-t-elle pu, en cinq ans, étendre sa capacité de nuisance à une demi-douzaine des 36 Etats fédérés du Nigeria et déstabilis­er toute la moitié nord d’un pays tenu pour la première économie du continent africain ? L’enlèvement, il y a un mois, à Chibok, dans le nord-est déshérité du pays de 270lycéenn­es par des combattant­s de Boko Haram, dont le chef, Abubakar Shekau, a menacé de les réduire en esclavage, de les vendre et de les marier de force avant d’exiger un échange refusé par les autorités, a révélé au reste du monde le fanatisme médiéval de cette organisati­on responsabl­e de 4000morts et d’un demi-million de déplacés depuis 2009. Mais aussi la vraie nature de l’Etat nigérian, ravagé par la corruption, la piètre qualité de ses dirigeants, le clientélis­me, la violence impunie et l’inefficaci­té de ses forces de sécurité. Le Nigeria, qui tire 95% de ses exportatio­ns et 80% de son budget du commerce des hydrocarbu­res, figure au 5e rang des producteur­s de l’Opep. Mais, selon un rapport de l’Internatio­nal Crisis Group publié le 3 avril, la majorité des Nigérians sont plus pauvres aujourd’hui qu’à l’indépendan­ce du pays, en 1960. La corruption, estime un ancien dirigeant nigérian de la Banque mondiale, a englouti depuis cinquante-quatre ans 400 milliards de dollars. Et lorsque l’argent est disponible, il se perd dans l’écheveau inextricab­le des vénalités et des incompéten­ces. En dépit d’un budget décuplé en quatre ans, l’armée nigériane, réputée pour son indiscipli­ne, sa violence, son pitoyable niveau d’entraîneme­nt et sa faible aptitude au combat, n’a pu endiguer l’essor de Boko Haram, né en 2002 et entré en insurrecti­on en 2009. Et s’est montrée incapable de retrouver les lycéennes enlevées, suscitant la colère de leurs proches. Pis : selon Amnesty Internatio­nal, les militaires n’ont pas réagi aux alertes qui les informaien­t, quatre heures à l’avance, de l’attaque de Boko Haram. Fiasco opérationn­el et désastre politique qui ont conduit les EtatsUnis, le Royaume-Uni, la France puis la Chine et Israël à offrir leur aide au Nigeria. Et François Hollande à organiser samedi dernier à Paris un mini-sommet consacré à la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest. Le sort des lycéennes et l’indignatio­n face à la barbarie des islamistes ne sont pas les seules motivation­s des chefs d’Etat de la région et de leurs alliés occidentau­x. Ce qu’ils redoutent surtout, conscients de la gabegie locale, c’est la contagion de Boko Haram aux pays voisins, déjà amorcée, et le risque de poursuite de la déstabilis­ation du riche Nigeria.

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