“Guet”-apens au Consistoire
A un mois des élections du grand rabbin de France, une affaire de chantage au divorce religieux secoue la communauté et ébranle l’institution israélite
Même la Croisette en parle. Avec la présentation à la Quinzaine des Réalisateurs du film israélien « Gett. Le procès de Viviane Amsalem », de Ronit et Shlomi Elkabetz, qui raconte le divorce impossible d’une femme que son mari refuse de libérer, comme la loi juive lui en donne le pouvoir, l’actualité a rattrapé le Festival de Cannes.
Au Consistoire français, les rabbins du service des divorces et le grand rabbin de Paris, Michel Gugenheim, également juge du Tribunal rabbinique (Beth Din) et grand rabbin de France par intérim depuis la démission spectaculaire de Gilles Bernheim pour plagiat, n’en demandaient pas tant. Et surtout pas de tenir les premiers rôles d’une vidéo de deux heures et demie, réalisée en caméra cachée par la famille d’une épouse, lors d’une étonnante cérémonie de remise de « guet », l’acte de divorce religieux, indispensable à la femme pratiquante pour contracter une nouvelle union en échappant au statut d’adultère et ses enfants à celui de bâtards (mamzerim).
Ce 18 mars 2014, au 17, rue SaintGeorges, à Paris, la réunion du Beth Din visant à « désenchaîner » Anaëlle, 28ans, de Yoël, qu’elle a quitté, enceinte quelques mois après leur mariage voici déjà cinq ans, prend les allures de mauvais scénario. « Pas de chèque, pas de guet. C’est la règle du jeu » , entend-on dire, dans un extrait audio, le rabbin Betzalel Lévy, médiateur désigné pour ce couple qui a obtenu le divorce civil en 2012, mais continue de se déchirer. En échange du guet et d’un reçu ouvrant droit à des déductions fiscales, un don par chèque de 90000 euros, émis à l’ordre de l’association loubavitch Eget Sinaï, ainsi qu’une lettre infirmant ses précédentes déclarations à l’encontre du mari devant le tribunal civil sont demandés à la jeune femme, au titre des « préjudices » que Yoël estime avoir subis. Celui-ci reconnaît ne pas vouloir céder le guet sans condi- tions et avoir fait monter les enchères. « Le prix de la liberté » , précise même le grand rabbin Gugenheim lors de l’audience.
Le chèque sera toutefois rendu à la famille immédiatement après la séance, face aux menaces de plainte et à l’annonce du stratagème élaboré « pour se défendre d’un odieux chantage sur lequel on nous demandait une discrétionabsolue », précise au « Nouvel Observateur » un des frères de l’épouse, restée silencieuse. Mais l’histoire ne se termine pas là. L’affaire du « rackguet » se répand à travers la communauté via les réseaux sociaux et finit par éclater le6mai, avec la publication d’un article détaillé du blog Avenir du Judaïsme, critique envers les dirigeants actuels du Consistoire, dont il fustige le « conservatisme » et l’ « opacité » .
« Mon éthique est de ne jamaismonnayer le guet, proteste Michel Gugenheim sur la Radio de la Communauté juive. Mais était-il de mon droit de bloquerlaprocédureetd’empêcherune femmed’obtenirsonguetpourrefairesa vie? » Le président du Consistoire Joël Mergui conteste tout « dysfonctionnement ». Il évoque « uncasexceptionnel » où le Beth Din « n’afaitqueprendreacte d’un accord librement consenti entre deux époux », mais a été, selon lui, « la victime d’unemachination, à unmois des élections du futur grand rabbin de France ». Le 22 juin, la communauté élira en effet son nouveau représentant dans un contexte tendu.
Seulement, quelle est la part de consentement quand le mari détient un tel moyen de pression? Et quel rôle ont joué les rabbins dans la tractation? « Personne ne se parlait plus entre les deux époux, le rabbin Lévy a fait le sale boulot d’intermédiaire », admet Joël Mergui. « De quel droit? Où sont les limites? questionne Delphine Horvilleur, rabbin du Mouvement juif libéral de France. Lier ladélivrancedu guet à une négociation financière, c’est rendre lalibérationconditionnelle. Des solutions existent pourtant pour éviter ces drames. » Moché Lewin, le rabbin consistorial du Raincy, où vit la famille d’Anaëlle, ajoute « qu’on pourrait instaurer un contrat prénuptial ou des sanctions religieuses contre les maris récalcitrants. Mais le rabbin Gugenheims’yoppose ».
« Secouées » par cette « tempête », quatre associations féminines juives, confrontées « plus d’une fois » à la détresse de ces femmes entravées (agounot), même après un divorce civil, et qui finissent par renoncer à une pension alimentaire ou par céder un bien pour obtenir leur libération, réclament une « enquêtesérieuseetindépendante » . Lundi, l’avocate et militante féministe Yael Mellul affirmait vouloir transmettre un signalement au procureur de la République de Paris sur cette « violation caractérisée du droit des femmes » . Du « racketguet » au « ConsistoireGate » ?