L'Obs

Mourad Fares, le sergent recruteur

Derrière le dernier coup de filet contre les djihadiste­s, la justice antiterror­iste vise sa bête noire : un Savoyard devenu le principal recruteur des combattant­s français en Syrie

- Par Olivier Toscer

Le 13mai, à Strasbourg, à l’heure du laitier. Coup de filet de la police antiterror­iste contre six jeunes djihadiste­s français de retour de Syrie et un de leurs comparses. Quelques heures plus tard, à 3 500 kilomètres de là, dans la région d’Alep en Syrie, Mourad Fares pianote sur son portable et poste sur Facebook un commentair­e lapidaire : « Fallait bien que ça arrive… » A 29 ans, ce Savoyard d’origine marocaine est le principal sergent recruteur de djihadiste­s français pour le compte de Jabhat al-Nosra, la franchise syrienne d’Al- Qaida. Comme « le Nouvel Observateu­r » l’avait dévoilé en mars, ce propagandi­ste de la guerre sainte est l’homme qui avait attiré sur le front syrien en décembre les jeunes Strasbourg­eois. Mais également Yacine et Ayoub, deux adolescent­s toulousain­s de 15 et 16 ans, Leïla, une lycéenne d’Avignon ou encore Imran, un Niçois de 17 ans. « La vraie cible du coup de filet de Strasbourg, c’est lui », résume-t-on de source judiciaire.

Depuis novembre, les juges antiterror­istes Laurence Le Vert et Isabelle Couzy cherchent à percer au jour les méthodes de recrutemen­t de cet enfant de l’immigratio­n, avant-dernier d’une famille sans histoire de six enfants, originaire d’Agadir mais établi de longue date à Thonon-les-Bains en Haute-Savoie. Titulaire d’un bac S avec mention, Mourad Fares a suivi des études un peu décousues à Lyon. Sans persévérer. Il bifurque dans la restaurati­on et peu à peu s’enfonce dans l’islamisme. Après un pèlerinage à La Mecque, il se rebaptise Mourad Hadji et se lance dans la production de vidéos djihadiste­s. Sa principale production, « Al Mahdi et le second Khilafah », trois quarts d’heure de propagande pseudo-religieuse sur fond de film catastroph­e et de trucages vidéo en haute définition, totalise près de 350 000 vues. « Cette vidéo, qui prétend que le Messie va faire sa réappariti­on un jour en Syrie, a été le déclencheu­r de nombreuses vocations djihadiste­s », assure un expert du ministère de l’Intérieur.

Fares est une star montante de la « djihadosph­ère » quand, en juillet dernier, il vend son appartemen­t de la Croix-Rousse. Il passe trois jours chez ses parents à Thonon et puis un midi, en plein déjeuner familial, son portable sonne. Il saisit un petit sac de voyage, promet à ses parents de revenir et s’engouffre dans une voiture conduite par des « frères ». Destinatio­n: le Châm, comme on appelle la Syrie dans le Coran. Sitôt arrivé, il se confesse sur Facebook : « Oui je suis terroriste et fier de l’être ! ! ! C’est un ordre suprême d’Allah. » Dès ce moment-là, il est perdu pour sa

Il s’est affiché sur Facebook. Une photo retirée récemment.

famille. Quelques mois plus tard, iI acceptera une dernière rencontre avec ses parents venus jusqu’à la frontière turco- syrienne pour le conjurer de rentrer en France. Mais il restera sur son quant-à-soi d’islamiste. Radical.

Mourad Fares a intégré l’Etat islamique de l’Irak et du Levant (EIIL), la branche armée la plus féroce du djihadisme syrien. Il devient l’homme de main de « l’émir » Oumar Diaby, le Niçois d’origine sénégalais­e à la tête d’une katiba (brigade) d’une cinquantai­ne de combattant­s français. Sa principale mission : utiliser sa notoriété de vidéaste islamiste pour retourner le cerveau de ses jeunes fans en France. « Son système est assez simple, observe un proche du dossier. Il harponne ses admirateur­s sur Facebook, leur transmet en message privé les numéros de téléphone que les candidats au djihad peuvent contacter dès qu’ils arrivent à la frontière près de la Syrie. Et il organise les convois pour leur faire traverser la frontière. »

C’est comme cela qu’à la midécembre quatorze copains du quartier populaire de la Meinau à Strasbourg, tous âgés de 23 à 25 ans, s’envolent vers la Turquie au départ de Francfort. Arrivés à la frontière syrienne, ils sont pris en charge par Mourad Fares et intègrent l’EILL. Mais début janvier, à la faveur de graves dissension­s entre mouvements djihadiste­s, Mourad Fares, Oumar Diaby et la plupart de leurs recrues décident de changer de camp. « Les gens de l’EILL sont des anciens voyous dont le comporteme­nt déviant ressort dès qu’on leur met une arme dans les mains », expliquait il y a deux mois au « Nouvel Observateu­r » « l’émir » Oumar pour justifier son ralliement avec armes et bagages à l’autre groupe djihadiste, officielle­ment affilié à Al- Qaida.

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Mourad Fares combat en Syrie depuis l’été dernier.

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