L'Obs

Retrouver la nuit

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Les oiseaux les plus exposés aux prédateurs sont aussi ceux dont le sommeil est le plus léger. Si l’agrypnie – ainsi appelait- on l’insomnie au Moyen Age – reflète d’ancestrale­s peurs animales, peut-être avons-nous également une conception trop rigide de la nuit. Car l’usage que nous en faisons est aussi une constructi­on culturelle. « En France, avant la révolution industriel­le, on se couchait dès la nuit tombée, poursuit Roland Pec. On dormait quelques heures, et on se réveillait vers minuit, où il était de tradition de souper tout en se reposant au lit. On intriguait, on jouait, on bavardait, avant de se rendormir jusqu’à l’aube. » Veiller était permis, mais à l’intérieur. Il faut attendre la fin du •–—— siècle pour que s’instaure la nuit de sept heures. « Pour l’éducation janséniste de l’époque, l’obscurité était propice à tous les péchés et à toutes les diableries : il s’agissait donc de l’encadrer strictemen­t en s’inspirant des règles monastique­s », raconte l’historien Pascal Dibie, auteur d’« Ethnologie de la chambre à coucher » (Editions Métailié). Les nuits sont calquées sur celles des petites pensionnai­res des écoles de Port-Royal des Champs, baignées de chants et de prières. « La nuit est faite pour dormir », répètent les tenants d’un ordre social et moral. Parce qu’il faut contrôler le temps et l’activité humaine, elle devient suspecte, dangereuse, louche. Criminelle même. « Toute cette méfiance a sans doute contribué à ren- forcer la peur instinctiv­e de l’obscurité », pense l’historien de la nuit Alain Cabantous. Au •—• l’invention de la lumière artificiel­le achève de faire de la nuit un succédané du jour.

Depuis, l’homme n’a de cesse qu’il n’ait retrouvé la nuit. Mais au fond, estelle faite pour se reposer ? « Finalement, il n’y a guère que dans nos contrées qu’on ne dort pas le jour », remarque Pascal Dibie. Chez les Indiens Yukana d’Amazonie, où il a

Quelle place pour un tel rituel dans les chambres du ••— siècle saturées de lumières et d’écrans ? Selon un sondage d’OpinionWay, une personne sur quatre déclare être exposée à l’éclairage public dans sa chambre. Et 42% des Français dorment avec leur téléphone portable allumé. Plus étonnant encore, les deux tiers des personnes réveillées par leurs messages les lisent en pleine nuit. Rivé à son Mac, Emile ne dort plus depuis qu’il s’est mis à boursicote­r sur le Net il y a quelques années. Il a 75 ans et sa femme, insomniaqu­e elle aussi, observe avec amusement son mari pianoter avec passion à 3 heures du matin, en liaison depuis Reims avec New York. Ces deux-là ont l’insomnie heureuse – et partagée. Mais combien de rythmes biologique­s perturbés par cette obscurité polluée ?

Fabrique de l’insomniaqu­e

En apportant la lumière artificiel­le dans les foyers, Thomas Edison pensait affirmer la supériorit­é de l’homme moderne sur la nature et ambitionna­it d’abolir le sommeil, « une déplorable régression vers le comporteme­nt primitif d’un homme des cavernes » . Son obsession est aujourd’hui prise au sérieux par des chercheurs. Aux Etats-

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