UN JOUR SANS FIN
Toujours fatigués, souvent déprimés, ceux qui ne dorment pas entament au petit matin un deuxième combat. Récit d’un cauchemar éveillé
Cinq ans d’enfer. Cinq ans sans plus jamais connaître la plénitude d’une bonne nuit. Cinq ans à guetter fébrilement le train du sommeil et à savourer comme un cadeau du ciel les rares plages de repos arrachées à Morphée grâce à des somnifères. Depuis qu’elle est insomniaque chronique, avec des nuits de trois à quatre heures au compteur, Alice, petite blonde de 23 ans, a basculé dans une dimension inconnue des enfants chéris du dieu ailé. « Je flotte toujours entre deux états, raconte-t-elle d’une voix lasse. Je ne suis plus jamais complètement éveillée, ni complètement endormie. Les nuits n’en sont plus, et les jours non plus. Parfois, je ne sais même pas si on est le matin ou l’après-midi. » Au printemps, cette étudiante en philo a voulu mettre un terme à ce cauchemar. Sortir des limbes une bonne fois pour toutes. Dans un moment de fatigue extrême, l’esprit brouillé, elle s’est ouvert les veines. « Même si je ne suis pas d’un tempérament particulièrement joyeux, je n’avais jamais eu d’idées suicidaires avant de ne plus dormir. Mais je n’en pouvais plus de cette “demi-vie”. » Se sont ensuivies deux semaines d’hospitalisation à la Salpêtrière et un retour à la vie au goût amer. « L’insomnie est une maladie fourbe, insidieuse, qui pourrit l’existence. Les gens qui dorment bien ne peuvent pas imaginer ce que c’est. »