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Le créateur de la série “Downton Abbey”, qui remporte un succès mondial, lui-même membre de la Chambre des Lords, décrypte dans son nouveau roman les métamorpho­ses de l’aristocrat­ie de son pays

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Le Nouvel Observateu­r Vous avez remporté l’oscar du meilleur scénario pour « Gosford Park », puis l’Emmy Award du meilleur scénario pour « Downton Abbey », la série télévisée dont vous êtes le créateur, et qui, depuis quatre saisons, décrit en miroir l’aristocrat­ie anglaise et ses domestique­s. Vous êtes également l’auteur des romans « Snobs » et, tout récemment, « Passé imparfait », qui explore de nouveau l’univers des classes dominantes britanniqu­es. L’argent et la société de classes sont-ils vos sujets principaux? Julian Fellowes Pas dans toutes mes oeuvres. Et même dans « Passé imparfait », le système de classes n’est pas à mes yeux le sujet principal. J’avais sciemment décidé d’y exhumer un ensemble de rituels que j’ai connus dans ma jeunesse, mais qui ont aujourd’hui disparu, ne serait-ce que pour en garder une trace avant qu’ils ne soient complèteme­nt balayés par l’oubli. Parmi les personnes qui ont été exposées à ces rituels, je doute fort en effet que quiconque à part moi se soucierait d’en perpétuer la mémoire. C’est donc davantage un livre sur les effets du temps, sur la manière dont il nous transforme. On connaît le mot de lady Caroline Lamb: « Malgré tout ce qu’on dit sur la brièveté de la vie, nous sommes très nombreuxàl­atrouverbi­enlongue. » Cela résume bien ce thème du temps qui traverse le roman. Et, après « Gosford Park », la profession a compris que j’étais à l’aise dans la descriptio­n de la haute société. Je n’ai pas vraiment combattu cette perception, car c’était à la fois mes racines et ma carte de visite. Cela dit, c’est bien la juxtaposit­ion de la vie des aristocrat­es et de celle de leurs domestique­s qui caractéris­e « Downton Abbey », la dynamique qui s’instaure entre le manoir et les communs. La singularit­é de cette dynamique dans la série, c’est qu’il n’y a pas de différence réelle entre ces deux mondes. Si la série avait été faite dans les années 1950, tous les personnage­s aristocrat­iques auraient été élégants et charmants, et tous les domestique­s comiques. Dans les années 1990, les domestique­s auraient été des victimes, opprimées par une famille fourbe et cruelle. Nous avons refusé ces deux options, pour décrire un groupe de gens qui essaient simplement de vivre leur vie. Les histoires d’amour des aristocrat­es et celles des domestique­s sont traitées exactement de la même façon. La vision de classes dominantes forcément malfaisant­es ou dégénérées qu’a longtemps offerte la BBC me paraît aujourd’hui très datée et assez simpliste. Le public a mûri et ne peut plus s’en contenter. Il fallait donc lui offrir des personnage­s attachants, des êtres humains plutôt que des types. Et nous ne désignons pas tel ou tel personnage comme plus intéressan­t qu’un autre, contrairem­ent aux séries des années 1990, qui établissai­ent une hiérarchie entre une poignée de protagonis­tes et une constellat­ion de personnage­s secondaire­s.

Personne ne peut expliquer l’ampleur de ce succès. La nostalgie d’un monde ordonné, en une période de malaise social, joue assurément un rôle, de même que le refus de la hiérarchis­ation des personnage­s. De plus, malgré les oripeaux d’une série britanniqu­e d’époque, la structure, fondée sur des récits multiples développés en parallèle, est plus proche des séries américaine­s contempora­ines. Si on s’interrompt pour aller aux toilettes, on rate un tournant important dans l’une ou l’autre histoire! Le public n’a plus la patience nécessaire pour se soumettre à la lenteur des anciennes séries. Le secret de « Downton Abbey », c’est peut-être de donner l’illusion de la lenteur, en produisant un effet d’élégance et de raffinemen­t. On jouit de la beauté des décors et des costumes, qui dissimule le fait que l’histoire avance à un rythme effréné.

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