GL’ÖTH ARWAK WIRÙTH NIONK NIONK !
Dans “Ward”, Frédéric Werst crée une langue fictive. De “Game of Thrones” à “Avatar”, les langages imaginaires sont partout
CWard. IIIe siècle, par Frédéric Werst, Seuil, 428 p., 22,50 euros. e dieu-là, on sait qu’il existe, puisqu’on l’a rencontré. Il porte une veste en velours et boit du thé au jasmin. On ignore presque tout de lui. Son nom est un mystère, ce qui est courant chez les dieux, mais il a pris un pseudonyme. Il se fait appeler Frédéric Werst. Il a l’air fatigué. Il a passé les sept dernières années à créer le monde des Wards, sympathique civilisation pseudo-mésopotamienne, peuple de pure fiction. Son histoire imaginaire est compilée dans la fausse anthologie bilingue de textes wards, dont Werst a lancé la publication en 2011. Ces textes – poèmes, méditations d’érudits, recueils de jurisprudence –, il les écrit directement en « wardwesân classique », avant de les traduire en français. Le deuxième volume de ce très sérieux pastiche ethno-linguistico-historique, consacré au IIIe siècle ward, a paru au début de l’année. On y voit les Wards sortir peu à peu de l’âge traditionnel pour entrer dans celui, glorieux, des rois lettrés, du savoir et du roman. Mais Werst n’a pas pour autant trouvé le repos. Il travaille aux siècles suivants, qui ne sont pas lumineux, puisque les pauvres Wards vont voir poindre à l’horizon des hordes de colons français. La création des Wards a débuté par le Verbe. Procédure divine standard. Au commencement était le Werst. A partir du wardwesân, langue des Wards, patiemment élaborée, ce mystérieux démiurge a construit une géographie, une mythologie, un système sociopolitique, des conteurs, des historiens, des philosophes. Avant lui, bien des artistes se sont essayés à créer des langages et des cultures. La fantaisie linguistique remonte au moins aux « Oiseaux » d’Aristophane. Leibniz, Swift, Lovecraft s’y sont frottés. Le socialisme a longtemps cherché la langue universelle qui abolirait les nations. Les fous littéraires du siècle ont abondamment déliré. E. R. Burroughs et Arthur C. Clarke, pères de la science-fiction, ont imaginé les langages de l’espace. Mais Frédéric Werst a poussé la logique très loin. « Construire une langue, dit-il, ce n’est pas simplement faire des listes de mots et élaborer quelques règles de grammaire. » Contrairement à l’espéranto ou au volapük, sabirs rigides comme des plantes artificielles, le wardwesân est vivant : sa syntaxe, sa grammaire, son orthographe et sa phonétique évoluent