L'Obs

“MEL GIBSON N’AVAIT PLUS L’ÂGE”

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Trente ans ont passé. Pourquoi ce retour de Mad Max ? Il ne m’a jamais quitté. Il est né à une époque de chaos personnel, pour moi : j’étais interne à l’hôpital de Sydney, et je voyais tous les jours des gens arriver avec des blessures terribles, des maladies e rayantes. Sur le moment, ça allait. Mais plus tard, le choc arrivait. Or, Mad Max est un personnage en état de choc. De plus, l’Australie a une vraie culture de la route : les distances sont immenses, les routes toutes droites, on se perd là-dedans. Entre mon désordre intime et cette immensité, j’avais un besoin d’ordre. C’était la mission de Mad Max.

Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Le premier film a été très dur à tourner. Le deuxième, plus facile, mais épuisant. Du troisième, je ne me souviens de rien : la mort de mon ami et associé Byron Kennedy m’avait plongé dans une dépression terrible. Et puis j’ai fait d’autres choses, de la production, du dessin animé… En 1993, dans un avion, j’ai repensé à mon héros. Il était là, prêt pour de nouvelles aventures. J’ai écrit un scénario, que nous devions tourner en 2001 : l’attentat de New York a fait chuter le dollar australien, le tournage a été annulé. Quand, enfin, on a pu tourner dans le désert, la pluie s’est mise à tomber sur un sol totalement sec depuis quinze ans. En une nuit, tout s’est mis à pousser. Nous voulions un enfer, nous avions un paradis. Il a fallu tout arrêter. Qu’est-ce qui explique le succès du mythe Mad Max ? C’est un schéma simple, celui du Far West, avec un univers de western, cet univers que j’adorais quand j’étais gosse, quand j’allais voir « Shane, l’homme des vallées perdues ». Au Japon, on a comparé Max à un samouraï. En Scandinavi­e, à un Viking. Sans le savoir, j’ai touché quelque chose qui relève de la mythologie. Nous, les raconteurs d’histoires, ne sommes que les serviteurs involontai­res de l’inconscien­t collectif.

Chaque mythologie a ses rituels… Le nôtre, en Australie, c’est le rituel automobile. Quand j’étais médecin, je lisais le lundi matin la rubrique nécrologiq­ue. Il y avait la liste de tous les morts en voiture tués pendant le week-end. C’était comme le sacrifice rituel pour le dieu de la route. En fait, les quatre « Mad Max » sont des poursuites… C’est une des formes les plus pures du cinéma. Pas besoin de dialogues, d’explicatio­ns – l’action nue. Les films de Buster Keaton ou de Harold Lloyd, qui sont des poursuites, n’ont pas vieilli. Le cinéma muet, dans les années 1920, avait atteint une sorte de perfection, de ce point de vue. Quand j’ai commencé « Mad Max. Fury Road », je voulais un minimum de dialogues. Je voulais créer un monde entièremen­t visuel. En trente ans, les choses ont changé. Comment l’avez-vous intégré ? Dans « Mad Max 2 », on avait a aire à la guerre du pétrole. Dans ce monde postapocal­yptique, maintenant, c’est la guerre de l’eau : en Australie, nous sommes confrontés à une crise des ressources aquatiques. Et, dans le film, il y a un retour à un monde médiéval, avec des seigneurs de guerre qui monopolise­nt les richesses. Par ailleurs, le monde a changé, mais le cinéma aussi s’est transformé. En 1979, pour tourner une poursuite, il fallait caler une grosse caméra sur un capot de voiture. C’était dangereux. Aujourd’hui, avec les caméras numériques, on peut tout faire facilement. La durée de vie des films s’est raccourcie, le mode de consommati­on a changé. Ce qui reste invariable, c’est le besoin d’histoires. Vous n’avez pas eu recours aux e ets spéciaux numériques pour ce film. Pourquoi ? Parce que les cascades, aujourd’hui, peuvent être exécutées sans danger ou presque. Les e ets numériques déréalisen­t tout : moi, je voulais qu’on y croie. Ce sont de vraies voitures qui s’écrasent, de vrais acteurs qui bondissent, de véritables camions qui foncent. Le seul e et numérique, c’est la tempête dans le désert. On n’avait pas les moyens d’attendre une vraie tornade.

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