L'Obs

Tel père, tel fils

PAR PAUL MORAND ET ROGER NIMIER, GALLIMARD, 464 P., 34 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Trente-sept ans les séparent, mais rien ne les distingue. On les dirait du même sang. D’ailleurs, Paul Morand (photo à gauche) n’en finit pas de donner à Roger Nimier (photo à droite) du « Mon fils » et lui prête sa maison des Hayes, dans les Yvelines, comme à un enfant triste qui a grandi trop vite et a besoin de prendre des forces sous les arbres. Tous deux aiment les voitures luxueuses et rapides – Cadillac, Ferrari, Thunderbir­d, Chevrolet –, les accélérati­ons, les canulars de potaches, le rugby, le tennis, les pastiches littéraire­s, les bons vins, Stendhal et Joyce, surtout quand il est « beurré ». Ils pratiquent la même insolence et sont pareilleme­nt hussards – l’aîné à cheval et en jodhpurs, le cadet à pied et en short.

On est loin des lettres nauséabond­es qu’échangent, au même moment, Morand et Chardonne (dont paraît le tome 2). Avec Nimier, Morand ne tombe ni dans l’antisémiti­sme ni dans l’homophobie. C’est l’aîné qui ouvre le bal, en juin 1950. Il a lu « le Grand d’Espagne » et il est enthousias­te : « Je prie pour que vous continuiez dans cette ligne droite. Puissiez-vous ne pas faire de journalism­e et ne pas épouser une dame qui a besoin de robes ! Je mise sur vous et ne veux pas perdre. » A quoi le cadet, qui fera beaucoup de journalism­e, répond : « Je voudrais bien être le confrère de l’auteur de “Tendres stocks”. » Le ton est donné. Ces deux-là se sont flairés, reconnus, et ils s’admirent. Chacun veut oeuvrer au succès de l’autre : Nimier use de tous ses pouvoirs (dans la presse et chez Gallimard, où il est conseiller) pour rendre à l’écrivain de « Milady » et de « Fouquet », que ses dévoiement­s idéologiqu­es ont rétrogradé, la place littéraire qu’il mérite ; Morand chante à qui veut l’entendre les louanges de l’auteur du « Hussard bleu » et s’ingénie à le distraire de sa mélancolie chronique : « Je lui donnais mon goût de vivre, il me donnait son envie de travailler. »

Pendant douze ans, sauf lorsqu’ils passent des vacances ensemble, ils échangent des lettres complices, drôles, urticantes qui ont, comme l’écrit Nimier d’« Hécate et ses chiens », « le goût du sel : il attaque, il brûle, il brille aussi ». Ils s’amusent à inventer une maison de retraite pour anciens prix Goncourt dévolus au jardinage. Ils imaginent un gouverneme­nt où Montherlan­t serait aux Finances, Jacques Perret à la Défense et Antoine Blondin… aux Bières. Ils rêvent d’adapter « Un amour de Swann » au cinéma. Jusqu’au jour de septembre 1962 où Roger Nimier se tue au volant de son Aston Martin DB4, sur l’autoroute de l’Ouest, aux portes de Paris et au seuil de ses 37 ans. Le fils est mort avant le père, qui ne supportera pas de vieillir sans lui. La veille de son accident, le jeune homme pressé lui avait écrit : « Cher Paul, je suis triste de vous voir si peu. » C’était une manière de litote, où excellait ce rhétoricie­n si doué pour tirer la langue au destin.

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