Il est minuit, Dr Rufin
L’ancien médecin sans frontières et administrateur, au Kosovo, de Première Urgence raconte un convoi humanitaire dans la Bosnie en guerre
Voilà un road novel qui ferait un excellent road movie. D’emblée on est happé par le climat dense et énigmatique de l’intrigue. Un convoi humanitaire composé de cinq personnes s’achemine vers la Bosnie en guerre. Nous sommes en 1995. Lionel, le chef de mission de l’ONG lyonnaise La Tête d’Or, Maud, la jeune idéaliste qui cache sa beauté sous des vêtements informes, Marc et Alex, les deux militaires, et l’étrange Vauthier que ses camarades soupçonnent d’être un barbouze vont distribuer vivres et secours à des victimes réfugiées dans une mine cernée de miliciens croates. Dans les deux camions qui forment le convoi, l’atmosphère est détestable et le machisme de rigueur. Contre toute attente, Maud, l’héroïne, se rapproche des militaires. Une idylle se noue, des secrets se dénouent. Et le groupe se scinde de manière dangereuse. L’expédition humanitaire tourne à l’équipée sauvage.
Jean-Christophe Rufin a écrit un livre d’aventure en terrain mouvant. Les check-points entre zones ethniques – et points de rupture métaphoriques – symbolisent la désorganisation et le flou dans lesquels les personnages évoluent et se perdent. La réussite de ce grand roman tient à son suspense et à la psychologie fouillée des protagonistes. L’ancien French doctor livre aussi une réflexion sur les enjeux actuels de l’humanitaire.
Au sein de la mission, deux conceptions s’a rontent. Les membres de l’association caritative parlent géopolitique de manière souvent abstraite et prônent un humanitaire pacifique. Les militaires, excasques bleus considérés par les autres comme des brutes sans conscience, veulent armer les réfugiés. Maud bascule de leur côté. « De quoi les “victimes” ont-elles besoin ? De survivre ou de vaincre ? » demande Rufin dans sa postface. Ces dernières années, après avoir parachuté des vivres en Libye, en Syrie ou en Ukraine, la communauté internationale a finalement largué des armes. Dans un monde ensanglanté, l’heure n’est plus à la neutralité bienveillante. Il est minuit, Dr Schweitzer. Jean-Christophe Rufin a été élu à
l’Académie française en 2008. « Rouge Brésil » (Gallimard), prix Goncourt 2001, a été vendu à 800000 exemplaires et traduit en dix-neuf langues, « le Collier rouge » (Gallimard)
à 209 000 exemplaires et « Immortelle randonnée » (Guérin) à 350 000.