L'Obs

Un New-Yorkais à Paris

PAR ISRAËL HOROVITZ. COMÉDIE DRAMATIQUE AMÉRICAINE, AVEC KRISTIN SCOTT THOMAS, MAGGIE SMITH, KEVIN KLINE, NOÉMIE LVOVSKY, STÉPHANE FREISS, DOMINIQUE PINON, STÉPHANE DE GROODT (1H42).

- JÉRÔME GARCIN

D’ordinaire, les Américains savent tout faire au cinéma, sauf filmer Paris et les Parisiens. Avec eux, la capitale se transforme le plus souvent en dépliant touristiqu­e. Le dramaturge Israël Horovitz, dont c’est le premier film, n’est pas tombé dans le panneau. Il saisit merveilleu­sement le charme discret des ruelles pavées, des rives ombragées, des jardins secrets, des ateliers d’artistes, des intérieurs qui sentent le parquet ciré et le vieux vin, des façades et lumières blondes. Dans ses Mémoires, « Un New-Yorkais à Paris » (Grasset, 2011), Horovitz disait pourquoi il espérait bien finir ses jours dans la ville où vécurent ses maîtres Beckett et Ionesco ; avec « My Old Lady », il le prouve. Adapté de sa propre pièce (en français : « Très Chère Mathilde », incarnée par Line Renaud au Théâtre Marigny, en 2009), le film commence à la manière d’une comédie légère. Mathias (Kevin Kline, photo), un quinquagén­aire new-yorkais sans le sou et en rupture de ban débarque à Paris avec la ferme intention de vendre le bel appartemen­t dont il a hérité de son père, avec lequel il était brouillé. Seulement voilà, Mathilde, une vieille dame de 92 ans (Maggie Smith, photo), l’habite avec sa fille Chloé (Kristin Scott Thomas) et le nouveau propriétai­re découvre qu’il doit en plus lui verser une rente viagère. (Pour un Américain, le viager est, comme la baguette et le camembert, une cocasse spécialité française.) Mathias n’est alors qu’au début de ses surprises. Il croyait, en venant à Paris, solder son passé, il va devoir au contraire le porter et le supporter. Jusqu’au jour où il comprendra que jamais son père mort n’est plus vivant que dans les yeux de Mathilde et jamais son avenir plus lisible que dans le regard de Chloé. Au début, les blessés sont fermés de l’intérieur ; à la fin, ils cicatrisen­t en s’épanouissa­nt.

A 76 ans, Israël Horovitz n’a plus l’âge, en passant soudain derrière la caméra, de vouloir épater la galerie et révolution­ner le cinéma. Sa mise en scène est donc sage et son image, ra née. Là où le dramaturge excelle, c’est dans la direction d’acteurs, qui lui donnent en échange le meilleur d’eux-mêmes. Car Maggie Smith, Kristin Scott Thomas et Kevin Kline réussissen­t tous les trois, derrière les masques de la fierté, de la colère ou de la mélancolie, à exprimer ce qui ne se voit pas : les douleurs de l’enfance, les regrets de la jeunesse, les illusions perdues. « My Old Lady » est un film touchant sur le temps qui passe, les secrets de famille et les amours dont tous, viager ou pas, nous avons hérité.

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