Lüpertz, le peintre voyageur
JUSQU’AU 19 JUILLET, MUSÉE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS. CATALOGUE : « MARKUS LÜPERTZ », PARIS MUSÉES, 464 P., 49,90 EUROS.
Il faut pousser la porte d’une forêt (reproduite sous la forme d’un agrandissement photographique) pour pénétrer dans cette rétrospective dédiée à Markus Lüpertz. Derrière ces arbres, on découvre d’abord de grands tableaux, visions d’une Arcadie réinventée par le peintre allemand. Les compositions sont étranges, il n’y a ici ni moutons ni bergers. Seulement des personnages nus semblables à des sculptures. Figés dans des poses académiques, ils prennent appui sur un tronc d’arbre ou la proue d’une barque. La plupart sont privés d’un bras. Parfois on distingue, posés sur le sol, un casque et une coquille d’escargot géante. Dans quel monde sommes-nous ? Pour résoudre cette énigme il faut suivre le chemin parcouru par ce peintre réputé inclassable. Le périple s’e ectue à rebours, le visiteur étant invité à remonter la chronologie de sa création, depuis ses toiles les plus récentes jusqu’aux oeuvres de jeunesse. Lüpertz est né en 1941 dans les Sudètes, région alors annexée par le IIIe Reich. Il appartient à cette génération d’artistes qui, comme Gerhard Richter et Georg Baselitz, ont fait leurs débuts dans les années 1960, sur une scène allemande encore hantée par le spectre d’un passé nauséabond. Pour Lüpertz, la peinture devient un recours tout autant qu’un refuge. « Aujourd’hui, confesse-t-il, je peins des tableaux qui ne racontent pas d’histoire et qui ne sont le médium d’aucune idée intellectuelle, des tableaux qui ne font que créer une atmosphère. » Une pirouette ? Le peintre et sculpteur (il écrit aussi des poèmes) ne cesse pourtant de s’appuyer sur l’histoire de l’art la plus classique qui soit. Il a regardé Paul Klee, Picasso (en témoigne ici par exemple son « Autoportrait » de 1983), Matisse (c’est ici sa série « Rückenakt », « Nu de dos »), Goya, Manet. Un sort particulier est réservé à Poussin dont il démantibule le célèbre « Printemps » : de cette fresque bucolique représentant Adam et Eve au paradis, il fait table rase, peignant simplement les membres des deux personnages flottant dans le vide, sur la scène d’un théâtre désert ou sur un fond de verdure. Comme Picasso avait déconstruit « les Ménines » de Velázquez, Lüpertz réécrit à sa façon la grande histoire de la peinture, poussant le plaisir jusqu’aux rivages de la Grèce antique. Ces voyages tiennent lieu de message : la peinture ne connaît pas le temps.