L'Obs

La place des choses

Où l’on voit qu’il convient de bien les ranger

- D. D. T.

Quand on perd quelque chose, qu’on ne parvient pas à le retrouver, si on croit au surnaturel, surtout si on est italien, surtout si on est de Padoue, on s’adresse à saint Antoine, lequel l’était aussi, de Padoue. Ne se comptent plus les paires de lunettes, les portefeuil­les, les billets de banque ou de chemin de fer retrouvés grâce à saint Antoine de Padoue. Cette dame, d’âge mûr à ce qu’on dit, mais l’âge n’est plus toujours aussi cruel aux dames qu’il l’était naguère encore, vit seule et vit à Padoue. C’est une Padouane. Elle était bien embêtée, voici quelques jours, notre Padouane. Et sans doute l’était- elle, embêtée, depuis pas mal de temps. S’étant posé une ceinture de chasteté, était venu le moment où elle avait souhaité l’ôter.

Ah ! Où ai-je rangé la clef ? Quelle phrase plus anodine ? Quelle question plus banale, qu’un jour ou l’autre tout le monde s’est posée ? Elle est dans le tiroir. Tiens, non, elle n’y est pas. Sur la cheminée ? Pas davantage. Dans mon sac. Elle n’est pas dans mon sac. Dans l’armoire à pharmacie ! Elle n’y est pas et pourquoi l’aurais-je rangée dans l’armoire à pharmacie ? Elle n’est pas non plus dans le bu et de la cuisine, ni dans celui de la salle à manger. Oh oh, ça devient ennuyeux, il faut pourtant que je la retrouve. Grand saint Antoine, aidezmoi. Elle est allée poser et allumer un cierge au pied de la statue du saint, celle qui se trouve dans la basilique qui porte son nom, on n’est jamais mieux servi par un saint que dans l’église de ce saint, elle a prié (oui, lecteur, le chroniqueu­r brode), bien prié. Rentrée chez elle, elle retrouvera­it sa clef.

Je t’en fiche. Que faire, dans un cas pareil ? On regarde sur Google. A « comment ouvrir sa ceinture de chasteté sans clef », Google ne donne pas de réponse. Ce n’est pas que c’est surfait, Google, mais la panacée est pour plus tard, l’humanité devra attendre. L’espoir fait vivre. J’ai dû la ranger dans le frigidaire. Elle y a cru, là, la dame. La clef n’y était pas.

Hou hou ( la dame pleure). Elle s’endort. Elle rêve. Qu’elle a retrouvé sa clef. C’était un rêve. La dame rêve debout. Le rêve tourne au cauchemar. Il faut que je la retrouve. Je la retrouvera­i. Dans une heure, elle est retrouvée. Ne nous énervons pas. Pas d’affolement. On n’a jamais vu quelqu’un perdre la clef de sa ceinture de chasteté. Deux heures ont passé, c’était l’heure de dîner. La dame n’a pas envie de manger. Elle n’a qu’une envie.

L’envie de clef. On essaye tout. Abracadabr­a. Sésame, ouvre-toi. La presse italienne semble trouver tout naturel que la dame ne soit pas allée voir un serrurier. Elle n’en fait pas même la remarque. La dame est allée chez les pompiers. Un beau matin de janvier 2016, on a frappé (ou sonné, ou agité la cloche) à la porte des pompiers de San Fidenzio. Ils ont ouvert. La dame a commencé à expliquer, puis s’est embrouillé­e, elle était embarrassé­e, elle a soulevé son chemisier. Dépassant le haut de la jupe, le haut de la ceinture apparaissa­it. Le plus malin des pompiers devina de quoi il s’agissait, l’expliqua aux autres, la dame fut soulagée : voilà, c’est bête, je ne retrouve pas la clef, pouvez-vous me dépanner ?

Rien de plus simple. Un cadenas à forcer. Après ça, vous pouvez tout imaginer. La version publiée est qu’elle a dit merci aux pompiers et qu’elle est rentrée chez elle avec sa ceinture de chasteté dans son sac. Où ce n’était pas sa place. Mais la place des choses…

Ça devient ennuyeux, il faut pourtant que je la retrouve.

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