L'Obs

Les péchés capitaux de la diplomatie

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C’est un petit livre de quelque 70 pages, sorti fin janvier, au titre alléchant mais trompeur : « Péchés capitaux » (1). Le sous-titre est plus explicite – « les 7 impasses de la diplomatie française » – et donne le ton d’une charge sévère contre la politique étrangère de la France depuis bientôt une décennie, sous les présidence­s, donc, de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande. Le livre vaut surtout pour ses auteurs, membres d’un Club des Vingt largement composé d’anciens ambassadeu­rs de France à la retraite, mais aussi d’intellectu­els comme Régis Debray ou Rony Brauman, ou d’hommes passés de la diplomatie à l’industrie comme Francis Gutmann qui en est le président.

La liste compte trois anciens ministres des Affaires étrangères : Roland Dumas qui servit sous François Mitterrand, Hervé de Charette sous Jacques Chirac, et Hubert Védrine pendant la cohabitati­on Chirac-Jospin. Ce n’est pas faire offense aux autres membres du club de dire que la portée politique de ce document repose surtout sur la présence de Védrine parmi les signataire­s. Le centriste Hervé de Charette n’a pas laissé un souvenir impérissab­le au Quai-d’Orsay ; Roland Dumas est depuis longtemps dans le registre de la provocatio­n, pas toujours de bon aloi ; Hubert Védrine, lui, est toujours sollicité, écouté, et, de surcroît, il est le gardien de la mémoire mitterrand­ienne en tant que président de l’institut qui porte le nom de l’ancien président.

Le livre dresse un sombre constat : « La voix de la France n’est plus guère écoutée. Les difficulté­s de son économie ne suffisent pas à expliquer cet état de choses. La France semble avoir perdu l’indépendan­ce et l’intelligen­ce des situations qui lui donnaient un rôle à part. […] Croyant renforcer sa main en s’alignant sur plus puissant qu’elle – les Etats-Unis d’Amé- rique – elle y perd sa crédibilit­é. » Les sept courtes analyses qui suivent développen­t cette idée, qu’il s’agisse de l’Europe abandonnée « à la marche sans issue d’une caste technocrat­ique professant un libéralism­e dogma

tique » , de la Russie où Paris se voit reprocher d’avoir retrouvé « les vieux réflexes de la

guerre froide » , ou du Moyen-Orient où, selon les signataire­s, la France a perdu « beaucoup de sa crédibilit­é en devenant peu indépen

dante, opportunis­te, souvent partiale » . Quant au chapitre sur les Etats-Unis, son titre résume le propos : « S’allier sans s’aligner ».

Pourquoi les signataire­s, et singulière­ment Hubert Védrine, ont-ils choisi de se livrer aujourd’hui à cette attaque en règle qui ne sera guère appréciée, c’est un euphémisme, à l’Elysée et au Quai-d’Orsay, surtout au moment où son occupant, Laurent Fabius, pourrait bien quitter ses fonctions pour le Conseil constituti­onnel ? Sans doute pour tenter de lancer un débat dans la perspectiv­e de la présidenti­elle de 2017 dont deux des principaux prétendant­s, Nicolas Sarkozy et François Hollande, sont justement visés par l’analyse de ces « impasses ». En creux, ils préconisen­t un retour aux fondamenta­ux de la diplomatie française de la période précédente, souvent décrite comme « gaullo-mitterrand­ienne », plus indépendan­te et moins alignée sur Washington. Ils ont peu de chances d’être entendus par l’actuel chef de l’Etat et moins encore par son prédécesse­ur. En revanche, leurs options pourraient avoir plus de résonance avec le programme d’un autre ex-ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, candidat déclaré à la primaire de la droite et du centre... Une équation moins paradoxale qu’il n’y paraît.

(1) Editions du Cerf.

“La France semble avoir perdu l’indépendan­ce et l’intelligen­ce des situations qui lui donnaient un rôle à part”, c’est le sombre constat d’anciens ambassadeu­rs et intellectu­els, membres du Club des Vingt.

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