L’homme qui sait parler aux jeunes
A 30 ans, le patron de melty est sorti de la postadolescence, mais continue à promouvoir cette “culture jeune” qu’il sait si bien vendre aux quinquas. De quoi faire prospérer son petit groupe de divertissement
Les chiffres clignotent en rouge sur le grand tableau de bord accroché au milieu des bureaux du meltygroup, au Kremlin-Bicêtre, au sud de Paris. Le fondateur de la société, Alexandre Malsch, jette un regard et se tourne
vers son équipe, excité : « Regardez ! Ce 27 janvier, on est quasiment à 2 millions de votes ! »
L’objectif que vise le PDG de 30 ans est presque atteint. Les internautes de melty (avec un « m » minuscule, le fondateur y tient) ou des sites affiliés (Virgin, Fan2, June, Neon…) votent en masse pour leurs stars préférées, futurs vainqueurs des melty Future Awards, les Césars des jeunes talents, lancés il y a trois ans.
Les noms des candidats ne vous diront pas grandchose si vous avez plus de 30 ans. En dehors des ados et des postados, qui connaît les humoristes Math Podcast ou Mademoiselle Gloria, repérés puis popularisés par melty ? Leurs vidéos sont pourtant regardées par des centaines de milliers de fans sur YouTube ! Le rideau se lèvera sur les gagnants le 16 février prochain, avec tout le tralala des grandes cérémonies : tapis rouge devant le Grand Rex à Paris, fans en pamoison et diffusion en direct sur internet. De « vraies » stars feront aussi le déplacement, comme Kev Adams, l’acteur français numéro un du moment (« Soda », « Aladin », « les Profs »…). Car apparaître sur melty, c’est soigner sa popularité auprès des moins de 25 ans : ils sont 11,7 millions de visiteurs uniques en France à fréquenter la plateforme du groupe (et 9,1 millions à l’étranger en prime). D’ailleurs, les vedettes anglo-saxonnes comme la chanteuse Ariana Grande, le groupe One Direction ou bien les acteurs de « Game of Thrones » et d’« Avengers » n’hésitent plus à faire un saut de l’autre côté du périph. « Nous leur faisons gagner du temps dans leurs promotions, puisque grâce à nous ils seront diffusés dans presque tous les pays européens », assure le patron, très fier des audiences de melty en Italie et en Espagne, mais aussi au Brésil ou au Mexique.
La cérémonie des melty Future Awards est sortie de l’imagination d’Alexandre Malsch. « Un journaliste du site avait dressé la liste de ses coups de coeur de l’année. On a eu l’idée d’en faire un événement annuel, car cela permet de créer du contenu exclusif pour notre site pendant plusieurs mois et de mobiliser nos internautes », explique le jeune homme au débit de mitraillette. Il en profite aussi pour faire ses relations publiques auprès des annonceurs du site, et leur montrer son pouvoir sur leurs enfants. Car son modèle, c’est la réussite de Walt Disney. Il va dîner au moins une fois par mois au parc Disneyland et s’inspire des méthodes du groupe américain : il crée un univers divertissant, qui doit toujours rester positif, sans rien qui fasse peur ou réfléchir. « L’actualité généraliste, les autres font ça mieux que nous. » Lui, il s’y connaît en divertissements. Des exemples ? L’été dernier, il a organisé une tournée des plages, gratuite, avec les talents de son site. Ce fut un raz de marée dans les campings du sud de la France. Il y a deux ans, il s’est demandé pourquoi le sport universitaire ne perçait pas dans les grands médias français, alors qu’aux Etats-Unis il est très populaire. Alexandre Malsch a contacté la Fédération française du Sport universitaire (FFSU) pour lui proposer de mettre en valeur son championnat de basket entre universités, dans ce qui est devenu officiellement la melty Basketball Ligue. Les responsables marketing de melty ont changé les noms des équipes et dessiné des logos pour s’approcher des codes américains. Des produits dérivés ont été conçus. Melty a aussi trouvé un sponsor intéressé par la cible étudiante : c’est la Caisse d’Epargne qui règle toutes les factures. « C’est du gagnant-gagnant pour les universités, les joueurs et le site », estime Damien Bardot, le porte
parole de la FFSU. « Comme pour les Awards, nous avons créé puis raconté une histoire médiatique, qui intéresse
400 000 visiteurs par mois, soit plus que nos sujets sur
les Ch’tis ou Kris Jenner [mère de Kim Kardashian] », complète Alexandre Malsch.
Cette passion de chercher ce qui plaît aux jeunes ne date pas d’hier : tout a commencé il y a quinze ans, quand il avait lui-même 15 ans, comme il le raconte dans l’ouvrage « Il était une fois… melty » (1). Au tournant des années 2000, Alexandre est un adolescent lyonnais peu populaire dans son lycée, peu sportif, nul en maths, mais doué pour l’informatique. La nuit, il bidouille un site, ActuAdos.fr, en cachette de son père qui pensait avoir mis l’ordinateur sous clé. Alexandre commence à mettre en ligne des textes qu’il commande à ses camarades d’école sur les sujets qui les passionnent. Le jeune geek rejoint ensuite l’école d’informatique Epitech. Il s’y fait enfin de vrais amis qui travaillent encore avec lui, comme Jérémy Nicolas, cofondateur de melty. Il y gagne aussi le soutien du créateur d’Epitech, Fabrice Bardèche, toujours actionnaire du site. Malsch ne s’est pas éloigné de son école : il a installé le siège de melty dans le même immeuble que celle-ci, au Kremlin-Bicêtre, comme si la sortie de l’adolescence restait un processus particulièrement difficile à gérer… Ce trentenaire, qui ne quitte jamais son sweat à capuche et qui prononce le mot « cool » dans presque toutes ses phrases, a en tout cas bâti une machine puissante : les sites de melty
ont dépassé les 20 millions de visiteurs en décembre dans le monde, en croissance de 50% l’an dernier. Et cette réussite fascine l’establishment français.
Car, au-delà de ses idées, la force de Malsch a toujours été de trouver les bons soutiens. Il n’avait pas 25 ans qu’il avait déjà séduit des entrepreneurs réputés comme Nicolas Plisson (ex- Canal+), Manuel Diaz (Emakina) ou Pierre Chappaz (Kelkoo), qui le finançaient et le conseillaient. Marc Simoncini, fondateur de Meetic, ou le banquier Matthieu Pigasse (coactionnaire de « l’Obs ») font aussi partie de son cercle. Il arrive toujours à convaincre qu’il est le seul entrepreneur capable de comprendre les jeunes, grâce à son arme secrète : un algorithme qui repère les sujets importants, avant même qu’ils soient populaires sur Google. La légende fait sourire Jérémy Nicolas, son concepteur : « Il faut démythifier l’importance de nos algorithmes, ils ne font qu’aider le rédacteur en chef à repérer les sujets qui vont monter et à commander à l’avance les papiers à ses journalistes. C’est à eux ensuite de les interpréter : ils ne suffisent pas à faire les succès d’audience. » De fait, quand nous avons rendu visite aux équipes, le logiciel en question ne révélait pas grand-chose d’extraordinaire : Kim Kardashian, les émissions de télé-réalité « Secret Story » et « les Princes de l’amour », l’animatrice Caroline Receveur, les films « Star Wars » et « la 5e Vague » ou la série « Game of Thrones » étaient les sujets à alimenter pour satisfaire les internautes… Rien de bien surprenant : un bon rédac chef chargé de suivre l’actualité people n’aurait pas trouvé autre chose, mais cette sélection est une mine pour des quinquagénaires surmenés qui veulent rester dans le coup. C’est ce logiciel qui a permis à melty de se développer.
« Nos premiers actionnaires [Epitech, Bouygues
Telecom, le fonds Serena…] pensaient que notre modèle économique serait de vendre cette technologie. Ils ne croyaient pas qu’un site de médias puisse devenir rentable. On a donc développé le site juste pour montrer ses
performances », rappelle Malsch. Mais un seul client, BFM, a acheté la technologie et le fondateur s’est retrouvé à deux doigts de la faillite en 2012. Il change alors de modèle économique : il garde pour lui l’exclusivité de son algorithme et il devient un site de médias financé par la pub. Il a désormais 110 salariés, dont 65 journalistes à temps plein. Soutenu par l’agence de communication Image 7, qui soigne d’habitude les dirigeants du CAC 40, Malsch est aussi devenu un emblème de la génération start-up dans les médias. Il saute des plateaux de Canal+ au Conseil national du Numérique, des bureaux de Nicolas Sarkozy aux réunions du club Digital Century, qui fédère des grands patrons.
Une petite notoriété qui ne l’a pas empêché de se retrouver dans l’impasse une deuxième fois, l’an dernier : en octobre, les caisses de melty étaient plus que vides, avec un trou de 2 millions d’euros – pour 7 millions de chiffre d’affaires. Les activités françaises étaient à l’équilibre, mais la stratégie d’ouverture internationale tous azimuts (Italie, Espagne, Allemagne, Royaume-Uni, Brésil, Mexique, Europe de l’Est…) avait beau faire de grosses audiences, elle ne rapportait rien en pub. « J’ai eu une semaine pour trouver une solution et ne pas licencier l’équipe », avoue-t-il. C’est Marc Simoncini qui le sauve du désastre en devenant le principal actionnaire. « Ils avaient fait l’erreur que font beaucoup de start-up : se développer partout. Moi, je crois qu’il faut d’abord être le plus fort sur son territoire, avoir des bases solides avant de partir à l’international. J’ai posé cette condition et je leur apporte plus de rigueur », explique le fondateur de Meetic. D’autres grands noms ont confirmé leur soutien au passage : le groupe Pinault, ou l’agence de publicité Fred & Farid. Un nouveau venu de poids est aussi entré au tour de table : l’hôtelier Accor. Sébastien Bazin, son PDG, utilise le site pour promouvoir ses hôtels auprès des jeunes : melty a conçu un programme avec ses talents qui parcourent l’Europe, couchant dans des Ibis et postant des vidéos sur l’application Snapchat.
Avec les 10 millions qu’il a ainsi récoltés, Malsch a sauvé sa peau et il en a profité pour revoir sa stratégie. Désormais, il ne se vend plus comme un groupe de
médias. « Mon produit, c’est l’expertise de la culture
jeune » , a-t-il expliqué à la conférence Giants × StartUps. Il va exploiter les données qu’il recueille sur son site et les vendre aux grandes entreprises. Et il va essayer, comme tout le monde, de convertir ses internautes en clients. Le succès de sa tournée des plages lui a donné des idées : les jeunes sont prêts à payer pour un accès privilégié à leurs idoles. Comme dans le monde inventé par Walt Disney.