L'Obs

Les réponses de N. Vallaud-Belkacem

Répondant à l’étude publiée par “l’Obs”, la ministre de l’Education nationale réaffirme son engagement contre la “prégnance du sentiment religieux parmi les élèves” et les “crispation­s identitair­es”

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLINE BRIZARD, NATHALIE FUNÈS ET RENAUD DÉLY LÉA CRESPI

L’étude publiée par « l’Obs » montre l’importance de la foi religieuse chez les jeunes. Avez-vous été surprise par les résultats ? Non, le constat d’une plus grande religiosit­é chez les jeunes n’est pas nouveau. Et, au lendemain des attentats de janvier, en me rendant dans plusieurs établissem­ents scolaires, j’avais constaté la prégnance du sentiment religieux parmi les élèves. J’avais été frappée de voir beaucoup d’entre eux discuter, juger, débattre des choses à travers ce prisme, toutes religions confondues. C’était moins le cas pour les génération­s précédente­s. Dans une société qui se cherche, une partie de la jeunesse peut être davantage tentée de trouver des réponses dans la religion. A l’heure où ces identités peuvent être manipulées et radicalisé­es pour être montées les unes contre les autres, c’est très préoccupan­t. Comment expliquez-vous que la dévotion soit plus marquée chez les musulmans ? Cette génération a grandi dans l’après-11-Septembre. Et l’étude montre que les jeunes musulmans sont également les plus nombreux à habiter en HLM ou à souffrir d’horizons profession­nels bouchés. C’est le résultat d’une crispation identitair­e dans la société, mais aussi un phénomène social. Il ya à la fois des pressions inacceptab­les dans certains quartiers de la part d’un islam radicalisé dont on voit aujourd’hui partout dans le monde la progressio­n, et un discours sur l’islam porté par l’extrême droite, et repris par une partie de la droite, qui a donné le sentiment à beaucoup de ces jeunes qu’ils ne faisaient pas partie de la communauté des citoyens. Une de leurs réactions, tombant dans le piège de ces discours, a été de mettre en avant leurs différence­s, notamment religieuse­s. C’est ce cercle infernal que l’école doit briser. L’étude montre aussi que cette religiosit­é a des conséquenc­es sur l’adhésion aux valeurs de la République, sur l’autorité du savoir scienti- fique, l’égalité entre les hommes et les femmes ou encore le droit des homosexuel­s… Aujourd’hui, la question religieuse est omniprésen­te dans le débat public. L’école n’est pas étanche, d’où la nécessité d’y rappeler avec fermeté et constance les règles en matière de laïcité. De façon très concrète. Cette année, nous avons, par exemple, distribué à tous les chefs d’établissem­ent un « livret laïcité », avec un rappel de la législatio­n et des questions pratiques, du type : comment réagir en cas de contestati­on d’un enseigneme­nt ? Surtout, nous formons massivemen­t les enseignant­s sur ces sujets et nous demandons aux parents de signer la « Charte de la laïcité » pour qu’eux aussi comprennen­t les règles en vigueur à l’école. La droite s’était contentée, elle, de tenir des discours incantatoi­res sur la laïcité, sans jamais donner de clés pédagogiqu­es. N’est-ce pas un peu caricatura­l ? La droite a tout de même fait voter la loi sur le voile en 2004. Et c’est une bonne chose, mais il ne suffit pas de légiférer : il faut se donner les moyens de convaincre notre jeunesse sans mettre nos enseignant­s en difficulté. La droite porte une lourde responsabi­lité : de 2002 à 2012,

il y a eu un désinvesti­ssement massif dans l’éducation, des suppressio­ns de postes, en particulie­r dans les établissem­ents les plus en difficulté, la disparitio­n de la formation continue des enseignant­s. Les professeur­s ont été de moins en moins armés pour répondre aux questions et provocatio­ns des élèves, et je ne parle même pas des discours de Nicolas Sarkozy sur la supériorit­é du religieux sur l’enseignant dans la transmissi­on des valeurs, qui annonçait les renoncemen­ts que nous payons aujourd’hui. Derrière la posture du retour de l’autorité à l’école, la réalité était tout autre. L’école sait-elle mesurer ces dérives fondamenta­listes ? J’ai posé un principe nouveau : aucune atteinte, aucune mise en cause ou provocatio­n ne doit être laissée sans suite, c’est-à- dire dire sans dialogue éducatif incluant, le cas échéant, une sanction. Là encore, la communauté éducative s’est mobilisée de manière exceptionn­elle. A mon arrivée au ministère de l’Education nationale, celui-ci n’était pas aveugle, mais myope sur les dérives ou les provocatio­ns contre nos valeurs. La culture générale était souvent celle, bien intentionn­ée, du « ne pas faire de vagues » . Aujourd’hui, nous avons trois outils complément­aires : une enquête annuelle sur la sécurité, les enquêtes de climat scolaire, qui montrent que 90% des élèves disent se sentir bien au collège ou au lycée, et un système de remontée quotidienn­e des faits graves, qui prend en compte les atteintes aux valeurs républicai­nes et les suspicions de radicalisa­tion. Bien sûr. On sait par exemple que le taux moyen d’incidents par an, quelle qu’en soit la nature, est de 12,4 incidents pour 1 000 élèves. S’agissant des suspicions de radicalisa­tion, l’Education nationale a effectué 857 signalemen­ts lors de la précédente année scolaire et 617 depuis la rentrée 2015. Enfin, sur 12 millions d’élèves dans plus de 60 000 établissem­ents, on compte parexemple en décembre environ 150 atteintes au principe de laïcité et aux valeurs de la République, ce qui représente quelque 10% de l’ensemble des faits graves de la période. Chacun de ces faits est inacceptab­le, et tous ont connu une suite. La transparen­ce doit être totale si l’on veut refuser d’alimenter le fantasme d’une école telle une citadelle assiégée. Le temps où l’Education nationale détournait le regard est terminé : l’école signale, l’école protège, l’école sanctionne. Comment défendre la laïcité quand elle est considérée par certains élèves comme le faux nez de l’islamophob­ie ? Certains jeunes la perçoivent à tort comme hostile à ce qu’ils sont. Mais l’école, précisémen­t, doit leur rappeler que la laïcité garantit leur liberté de croire, ou de ne pas croire, en étant assurés d’être traités de manière égale. Elle est d’abord une règle de protection dans la République, avec des droits et des devoirs. Par ailleurs, l’école qui a pour mission d’émanciper les individus, transmet des savoirs vérifiés qui ne peuvent être mis en cause par des croyances, qui, elles, relèvent de la conviction personnell­e.

Vu son enracineme­nt dans le milieu enseignant, la gauche n’a-t-elle pas fait preuve de cécité ? Sans doute y a-t-il eu une forme de myopie généralisé­e dans la société comme à l’école par rapport à la contestati­on croissante des enseigneme­nts. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été alertés, comme par le rapport Obin en 2004 [sur les signes et manifestat­ions d’appartenan­ce religieuse dans les établissem­ents scolaires, NDLR]. Du fait, notamment, de la concurrenc­e d’internet, source d’informatio­n mais aussi de désinforma­tion, qui change le rapport des jeunes au savoir. L’enseigneme­nt moral et civique, l’éducation aux médias et à l’informatio­n, qui ont vu le jour cette année, sont autant de nouveautés que nous avons voulues dans les programmes pour apporter des réponses à ces défis. Nous devons améliorer toujours plus la capacité de l’institutio­n scolaire à contrer en particulie­r le complotism­e, très présent chez les adolescent­s. Une question agite l’école en ce moment : doiton accorder une plus grande place à l’histoire et à la culture arabo-musulmane, comme le préconise l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou ? De grâce, évitons les débats qui divisent et commençons par mettre en oeuvre pleinement les programmes qui viennent justement d’être réécrits ! Régis Debray a montré l’importance de la connaissan­ce des faits religieux dans la culture laïque. Ils sont enseignés à l’école de longue date, y compris la culture arabo-musulmane que l’on retrouve dans les programmes d’histoire dès le début du xxe siècle. L’enjeu qui mobilise les enseignant­s, c’est d’améliorer leur formation, qui était par le passé l’angle mort des grandes annonces sur la laïcité. Par ailleurs, nous devons repenser l’enseigneme­nt de la langue arabe. J’ai décidé de mettre un terme au dispositif des enseigneme­nts de langue et de culture d’origine (Elco), qui ne véhicule pas un enseigneme­nt linguistiq­ue de qualité et enferme les élèves dans une logique d’entre-soi. Je veux promouvoir la diversité linguistiq­ue dès l’école élémentair­e et renforcer l’apprentiss­age des langues étrangères et régionales. Le débat sur la laïcité déchire les familles de la gauche. Manuel Valls a récemment accusé l’Observatoi­re de la Laïcité et son président, JeanLouis Bianco, de « dénaturer la laïcité ». Vous êtes d’accord ? J’estime que le combat pour la laïcité mérite qu’on se rassemble. C’est un défi suffisamme­nt lourd et complexe. Aucune énergie n’est de trop. On a besoin d’une institutio­n comme l’Observatoi­re de la Laïcité, où l’on s’échine à rédiger des guides et à proposer des formations pour éclairer les élus locaux, ou encore les enseignant­s. Mais la laïcité est aussi un combat, qui a besoin de militants déterminés et vigilants pour la défendre contre ses ennemis. Vous-même, avez-vous été assez vigilante lors de votre passage au « Supplément », sur Canal+ ? Avec le recul, regrettez-vous de ne pas avoir réagi plus vertement à l’endroit du président de l’associatio­n BarakaCity, Idriss Sihamedi, qui expliquait qu’il ne serrait pas la main aux femmes et refusait de condamner clairement les attentats de Daech ? Il ne faut pas confondre l’histoire qui est racontée et la réalité de l’histoire. C’est fou ce que l’image peut parfois déformer. Ceux qui me connaissen­t et savent ma capacité à me contenir ont vu combien j’étais furieuse et sidérée sur ce plateau. Les mots que j’utilise sur le moment sont des mots de rejet et de condamnati­on. Chacun a sa façon de s’exprimer. L’hystérie n’est pas dans ma nature, c’est vrai. Mais il n’y a pas la moindre ambiguïté ! Et, honnêtemen­t, quand on connaît mon parcours et mon histoire politique, il faut être très fort pour m’accuser de cautionner l’inégalité femmeshomm­es ! Ministre des Droits des femmes, j’ai toujours combattu les extrémiste­s et les intégriste­s de tout poil, ligués contre moi. Je trouve ce procès insupporta­ble. Vous vous êtes quand même dépêchée de diffuser un texte sur Facebook pour corriger le tir… Oui, parce que je sais ce qu’est le rouleau compresseu­r médiatique. Le système est tel que vous ne pouvez pas vous contenter de vous draper dans votre bonne foi. Certains ont voulu confondre mon mépris avec de la complaisan­ce, j’ai donc redit ma condamnati­on la plus claire. Vous dites que la laïcité ne doit pas donner le sentiment à certains élèves d’être moins bien traités que d’autres par l’école. Christiane Taubira a quitté le gouverneme­nt justement parce qu’elle considère que la déchéance de nationalit­é crée deux catégories de Français car elle ne sera applicable, de fait, qu’aux binationau­x, ce qui signifie, dit-elle, que « la binational­ité est un sursis ». Elle se trompe ? La nationalit­é est suffisamme­nt précieuse pour que quelqu’un qui a commis des crimes aussi horribles qu’un attentat terroriste puisse la perdre. Laisser croire qu’il pouvait y avoir deux catégories de Français aurait été délétère. Je préconisai­s donc pour ma part une rédaction du type déchéance de nationalit­é pour ceux que cette mesure ne rendrait pas apatrides et déchéance de citoyennet­é pour les autres. C’est le sens de la solution qui a été trouvée. Cessons d’entretenir l’idée que cette mesure concerne les binationau­x, alors qu’elle s’adresse aux terroriste­s. Je suis binational­e, fière de l’être, et je ne me sens pas concernée.

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La ministre de l’Education a répondu à nos questions le 1er février, dans son bureau de la rue de Grenelle.
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Confrontée aux propos d’Idriss Sihamedi, le président de l’associatio­n Baraka City, sur le plateau du « Supplément » de Canal+ le 24 janvier, la ministre est restée coite, provoquant une vive polémique.

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