L'Obs

LE PARCOURS

Tolérées puis réprimées, les prostituée­s

- NATHALIE BENSAHEL

On ne le sait pas forcément, mais la prostituti­on s’est institutio­nnalisée en France… au Moyen Age, à la manière d’un service de salubrité publique. Considérée

comme naturelle, voire comme « un moindre mal » dès lors qu’il s’agissait de canaliser les pulsions sexuelles du mâle médiéval, la prostituti­on est organisée dès le XIIe siècle par les tenants de l’ordre public : municipali­tés, bourgeois, seigneurs et même ecclésiast­iques, puisque certains bordels étaient possédés par des monastères ou des chapitres de chanoines. A Paris, cette prostituti­on a même sa milice irrégulièr­e, les Ribauds, police des filles publiques. Hormis une

séquence d’intense répression au XIIIe siècle sous Saint Louis, où les prostituée­s sont contrainte­s d’entrer en clandestin­ité, la tolérance prévaut

jusqu’au XVe siècle. Dès le début du XVIe siècle, ce sera le retour de la rigueur, pour au moins deux raisons : un mouvement d’ordre moral catholique fervent déferle sur la France, et l’apparition de la syphilis décime la population. En 1561, la prostituti­on

devient une activité illicite par l’ordonnance d’Orléans. En 1658, Louis XIV ordonne d’emprisonne­r toutes les femmes soupçonnée­s de prostituti­on,

d’adultère ou de fornicatio­n à la Salpêtrièr­e, jusqu’à ce qu’elles se soient repenties. En 1778, le lieutenant de police Lenoir interdit le racolage sous toutes ses formes. Et pourtant… au tournant du XIXe, les historiens estiment que Paris

comptait 30 000 prostituée­s dites modestes et 10 000 prostituée­s dites de luxe, officiant toutes plus ou moins dans

la clandestin­ité. Face à cet échec de l’ordre moral, la France napoléonie­nne va décider de réglemente­r la prostituti­on

et d’autoriser l’ouverture de maisons de tolérance (qui deviendron­t maisons de plaisirs) au début des années 1800. Avec l’instaurati­on dans la loi d’une visite

sanitaire obligatoir­e pour les filles publiques afin d’endiguer l’épidémie de syphilis. Un prélude à l’âge d’or des maisons closes. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, elles font en effet partie intégrante de la vie sociale des hommes de l’époque, qu’ils soient bourgeois, étudiants, intellectu­els ou ouvriers. Paris et ses maisons chics et célèbres comme le Sphinx ou le Chabanais, Paris et ses estaminets populaires des faubourgs :

la capitale devient un haut lieu du tourisme sexuel européen. Au début du XXe siècle, nouveau changement de cap. Le premier mouvement abolitionn­iste fait son apparition en France, porté par Marcelle Legrand-Falco, via l’Union internatio­nale contre le Trafic des Etres humains. Mais c’est après la Seconde Guerre mondiale (Paris a pris parfois des allures de bordel géant pour les soldats allemands d’abord, puis pour les libérateur­s américains) que les autorités décident de prohiber la prostituti­on. La France interdit les maisons closes et réprime le proxénétis­me en 1946 avec la loi Marthe Richard. Depuis, le régime français n’a cessé de se durcir, alors que sont apparues, venant de l’étranger, de nouvelles filières de prostituti­on mafieuses proches de l’esclavage. Sans compter que depuis le rétablisse­ment du délit de racolage en 2003 par Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, une grande partie de l’activité prostituti­onnelle s’est déplacée sur internet. La dernière étape législativ­e annoncée, celle de la propositio­n de loi Olivier-Coutelle-Geoffroy, qui prévoit la pénalisati­on du client pour l’achat d’actes sexuels (tout en supprimant le délit de racolage), confirme, si cela était nécessaire, le choix abolitionn­iste de la France.

Newspapers in French

Newspapers from France