L'Obs

Drieu contre Drieu

LES DERNIERS JOURS DE DRIEU LA ROCHELLE, PAR AUDE TERRAY, GRASSET, 234 P., 18 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Tant qu’à être débarrassé des Allemands, autant que Paris le soit de celui qui les a servis avec un zèle d’adjudant-chef. Le 11 août 1944, une semaine avant la Libération de Paris, Pierre Drieu la Rochelle avale donc un tube de Luminal, un phénobarbi­tal. Mais il est sauvé in extremis par sa domestique, Gabrielle. A Necker, on lui lave l’estomac, mais pas l’esprit, qui reste crasseux et repoussant. Transféré à l’hôpital américain de Neuilly (un pronazi chez les Yankees, sinistre ironie), le chantre de Jacques Doriot tente à nouveau d’en finir avec luimême. Le 18, à la veille de l’arrivée de la 2e DB, il se taillade les veines dans la salle de bains, où les infirmière­s intervienn­ent à temps. Ni les vivants, qui l’excommunie­nt, ni la mort, qui le nargue, ne veulent de l’auteur du « Feu follet ». Désormais, le destin va lui accorder sept mois de sursis. Aude Terray les raconte, avec une rigueur de médecin légiste et une compassion d’infirmière en soins intensifs, dans cette chronique crépuscula­ire d’un fasciste en cavale et en détresse. Drieu refuse la propositio­n de son ami, le Sonderführ­er Gerhard Heller, d’être exfiltré en Espagne ou en Suisse. Il estime qu’il est dégradant de fuir, mais trouve honorable de se planquer. Caché à Paris, à Orgeval (Yvelines) ou dans un élevage avicole de Seine-et-Marne par des femmes qui continuent d’aimer le séducteur qu’il a été, le suicidant ne se ressemble plus. Il se fait pousser la moustache et troque les costumes de chez Charvet contre des frusques de paysan. L’ex-patron de la « NRF » arrache les pommes de terre, fend le bois et nourrit les vaches. A 52 ans, c’est un vieillard. Il a perdu sa fierté, ses conviction­s, sa sveltesse et ses cheveux. Il perd aussi un peu la tête et demande à Malraux de bien vouloir l’enrôler, lui l’ancien membre du PPF, dans sa Brigade Alsace-Lorraine, qui défend Strasbourg à l’arme lourde. Il est son pire juge, mais ne peut s’empêcher de frémir en lisant dans les journaux les comptes rendus des procès où ses pairs en indignité sont condamnés à mort (Brasillach, Suarez), à la perpétuité (Maurras) ou aux travaux forcés (Combelle). Il tente d’éloigner le dégoût que sa lâcheté lui inspire en rédigeant un ultime roman, « Mémoires de Dirk Raspe », que lui dicte le destin bref d’un autre suicidaire, Vincent Van Gogh. Il ne prie pas, car Drieu est sans Dieu. Il lit Nietzsche, Schopenhau­er et « Autant en emporte le vent ». En février 1945, celui qu’Aude Terray ne cesse d’appeler « le proscrit » retrouve Paris et se terre comme un légume au fond d’un entrepôt de produits fermiers. Le 15 mars, il avale trois tubes de Gardenal et ouvre le gaz. Ses derniers mots sont pour la camériste du collabo : « Gabrielle, laissez-moi dormir, cette fois. » Depuis, il dort aussi dans la Pléiade, ce tombeau doré à l’or fin, mais c’est un autre débat.

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Drieu la Rochelle, dans son appartemen­t de l’île Saint-Louis, en 1928.

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