L'Obs

ON A SUIVI SARKOZY

DANS LES SUPERMARCH­ÉS

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N’en croyant pas leurs oreilles, des clients ont appelé le magasin. Nicolas Sarkozy, en personne, au supermarch­é du coin ? L’affiche n’a pourtant rien d’une blague. Ce jeudi 31 mars, au Carrefour de Condé-surSarthe, l’ancien président de la République est là. Assis derrière une petite table dressée au rayon livres, sous les affiches « la promo du mois », il dédicace à tour de bras « la France pour la vie ». Palettes de céréales, cartons de jus de fruits, Caddie, on est très loin de l’ambiance du Fouquet’s, mais pour l’ex-maire de Neuilly, c’est un coin de paradis. Ils sont plus d’une centaine à faire la queue et à défiler, leur exemplaire en main. Daniel, kiné, Véronique, commercial­e, Maurice, retraité de la métallurgi­e –des « inconditio­nnels » – veulent tous une signature, une photo et l’implorent de « se présenter, c’est urgent ». Une mère arrive avec sa « nénette », Florence, 15 ans, en larmes et incapable de dire un mot, submergée par l’émotion. Une vendeuse asperge son idole du parfum L’Homme idéal. Pour ne rien rater du spectacle, les journalist­es sont conviés aux premières loges. Sarkozy leur jette des coups d’oeil réguliers, sourire jusqu’aux oreilles, sur l’air de: « Vous voyez, hein… ». Et quand une déçue de Hollande lui confie qu’elle est prête à voter pour lui, il triomphe : « Ce ne sont pas des sondages, ça, c’est le pays. »

Sarkozy, c’est vraiment fini ? Depuis des mois, l’ex-président, qui devait tout pulvériser sur son passage en sortant de sa retraite, accumule les mauvais sondages. Il est distancé par Juppé dans la course à la primaire. Pire, une enquête le donne éliminé du second tour si la gauche avait pour candidat Emmanuel Macron à la présidenti­elle. Dans les états-majors de ses concurrent­s, on spécule désormais: pourrait-il renoncer? Mais lui perçoit une autre réalité: à chacune de ses virées, il est plébiscité. Il est le Messie qui multiplie les signatures comme les petits pains. Est-ce le signe, comme il s’en persuade, qu’il se passe en ce moment quelque chose entre lui et le pays qui échappe à l’oeil médiatique de Paris ? Ou une manière de s’aveugler en confondant ses fans et les Français ?

A chaque dédicace, les mêmes scènes le confortent: des flots ininterrom­pus de lecteurs et électeurs qui le regrettent et le vénèrent. Cela donne lieu à des moments assez surréalist­es. A Montargis, le 7 avril, le président des Républicai­ns assiste à une table ronde avec des médecins dans un quartier populaire. Dans la galerie commercial­e toute proche, le mot est passé: « Sarko est là. » A sa sortie, mini-émeute, un attroupeme­nt l’attend, le portable levé pour ne pas rater la photo. Aux balcons des HLM, les mamans sont sorties. L’après-midi, rebelote quand il traverse le hall du centre Leclerc : la rock star ne touche plus terre. Il se laisse prendre par l’épaule pour les selfies, embrasser sur la joue par des mamies et même sur le crâne par un jeune en maillot du PSG. A tous ceux qui n’osent pas l’approcher, il fait un signe de la main et tutoie: « Viens, viens! » Il jubile de cette popularité retrouvée le temps d’une après-midi, répète avec fierté ce surnom que tout le monde lui donne – « Sarko, Sarko » –, et plaisante : « Je vais dire à M. Leclerc que je vais venir faire des animations. » Le député qui l’accompagne est « bluffé » et n’a « jamais vu ça ». Le lendemain, la presse locale titre : « Sarkozy, le phénomène ».

Comment, après ça, croire que les Français ne veulent pas plus de lui que de Hollande sur l’affiche en 2017? Donner du crédit à son ancien Premier ministre François Fillon qui explique que dans un pays régicide, quand on a coupé la tête du roi, c’est dur de la lui remettre sur les épaules ? Sarkozy ne se prend pas pour Louis XVI. Il est Napoléon, de retour de l’île d’Elbe. Entre les sondages et ce qu’il vit, « ce n’est pas un décalage, c’est l’océan Atlantique », confiet-il à « l’Obs ». Ce jour-là, il vient d’être acclamé par une assemblée acquise, après avoir remis la Légion d’honneur à un ami. « Il suffit de venir voir ce qui se passe, continue-t-il. En ce moment, les plaques tectonique­s bougent partout, regardez les Etats-Unis. » Allusion à Donald Trump, en passe de s’imposer contre l’establishm­ent. Sarkozy, candidat du peuple contre le petit monde politico-médiatique ? La rengaine est connue. Mais il y croit plus que jamais.

Une semaine plus tard, attablé devant des chouquette­s dans le bureau du directeur du Leclerc après un bain de foule, il se vante : « Je mets trente-cinq minutes pour faire 100 mètres! Et on ne peut pas dire que je choisis le public, je suis là un jeudi soir, les gens font leurs courses. » Mais ces sondages, alors? Ils se sont toujours trompés, « regardez Balladur », rappelle celui qui fut son porteparol­e mais préfère ces temps-ci se comparer en petit comité au vainqueur de 1995: « Je suis comme Chirac, plus les médias le quittaient, plus il engrangeai­t. » Et tant pis si, lorsqu’il était à l’Elysée, Sarkozy était très friand des enquêtes d’opinion et si le sondeur Pierre Giacometti le conseille toujours.

 ??  ?? Centre Leclerc d’Amilly-Montargis (Loiret), le 7 avril. Nicolas Sarkozy, après la séance de dédicace de son livre « la France pour la vie » (Plon).
Centre Leclerc d’Amilly-Montargis (Loiret), le 7 avril. Nicolas Sarkozy, après la séance de dédicace de son livre « la France pour la vie » (Plon).

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