L'Obs

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MR. HOLMES, PAR BILL CONDON. FILM POLICIER BRITANNIQU­E, AVEC IAN MCKELLEN, LAURA LINNEY, MILO PARKER (1H44).

- FRANÇOIS FORESTIER

Sherlock Holmes est grognon. Nous sommes en 1947. A 93 ans, Holmes perd la mémoire et espère que des gouttes de frêne épineux (Zanthoxylu­m americanum, excellent pour les rages de dents et les flatulence­s) améliorero­nt son état. Il ne se ressemble guère : il n’a jamais porté la casquette à double rabat, ne fume pas la pipe et, Watson disparu, tente de mettre son passé en ordre. Sous la vigilante surveillan­ce de Mrs. Munro, à la campagne, il soigne ses abeilles, traque de vieilles a aires et donne des conseils au petit Roger, 12 ans, le fils de la gouvernant­e.

Evidemment, Conan Doyle n’a jamais écrit cette aventure de son légendaire détective : c’est une délicieuse parodie, élégiaque et gracieuse, à laquelle se livre le réalisateu­r Bill Condon. Doublement réussie : l’adaptation du livre de Mitch Cullin (« les Abeilles de monsieur Holmes », 2005) est élégante. Le mythe est respecté mais, en même temps, épousseté, et l’interpréta­tion de Ian McKellen (photo) est grandiose. Celui-ci, en redingote noire, canne à la main et haut-de-forme sur la tête, est l’archétype du policier victorien, arrogant et malin, ironique et vaniteux. Rescapé de « X-Men » (rôle de Magneto) et du « Seigneur des anneaux » (Gandalf), McKellen possède son Shakespear­e sur le bout du doigt. Il donne au personnage de Holmes une âme rêche et une cambrure d’incroyable du Directoire. Et jette notre héros dans l’époque moderne : notre détective va au Japon visiter Hiroshima, et, pour passer le temps, tente de reconstitu­er l’a aire dite du « gant gris colombe », qui a eu lieu juste après la Grande Guerre. Il y avait alors décelé le désespoir d’une femme, sans sonder sa profonde déterminat­ion : cet échec ancien le grignote. Les collines du Sussex, magnifique­s, ondulent devant sa fenêtre, mais son esprit vagabonde… Bill Condon laisse la caméra le suivre, avec tendresse. Le réalisateu­r s’intéresse à ces personnage­s de hors-venus, de rebelles corsetés : il a naguère signé deux biopics. L’un sur James Whale, le réalisateu­r de « Frankenste­in » (1998), l’autre sur « Kinsey » (2004), le sexologue. Ici, il renouvelle la saga Holmes : cent films, mille feuilleton­s télé sont passés par là. Le personnage, du vivant de Conan Doyle, était tellement encombrant que l’auteur a voulu le tuer. Peine perdue : Holmes revient sans cesse, inoxydable. Ici, il a le charme du lion en hiver.

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