FRONT NATIONAL
Au secours, Philippot s’est cloné !
On les imagine jubiler intérieurement. Ce mardi 29 mars, Florian Philippot présente devant la presse réunie à Nanterre, au siège du FN, les collectifs créés à son initiative: écologie, banlieue, condition animale… A ses côtés, sur l’estrade, des visages juvéniles : Jordan, David, Eric, Loup, entre 20 et 26 ans, ont été propulsés à la tête de ces laboratoires d’idées censés enrichir le programme de Marine Le Pen pour 2017. Après la conférence de presse, la petite troupe se retrouve. On se congratule, on plaisante, on lance un trait d’esprit. Avec leur costume et leur style raffiné, ces recrues évoquent plus les jeunesses giscardiennes que le cliché du frontiste à crâne rasé. Ils sont le renouveau que le Front veut afficher : des jeunes, surdiplômés, au langage maîtrisé. Des bébés Philippot que le numéro deux du parti a promus à son cabinet et fait élire dans les conseils régionaux. Au FN, les honneurs n’attendent pas le nombre des années. Surtout quand on est proche
du vice-président, qui n’a lui-même que 34 ans. De quoi rendre fou Jean-Marie Le Pen : l’ex-président d’honneur ne voit dans ces nouveaux venus que les « mignons » de ce satané Philippot…
Combien sont-ils ? Six, sept, huit, le groupe s’agrandit régulièrement. Accompagnez Florian Philippot sur un plateau de télévision et vous les trouverez à ses côtés. Tapez son nom sur Twitter et vous tomberez sur leur prose : une défense enflammée du « national-étatisme » de leur mentor, à l’opposé de la droite identitaire de Marion Maréchal-Le Pen. Ils partagent à la fois le profil et le discours politique de l’ex-haut fonctionnaire. Belles études et puissance de travail énorme. Admiration pour le général de Gaulle et intérêt plus prononcé pour les problématiques économiques que pour les questions sociétales. Tous ont récemment applaudi les propos du vice-président du FN sur l’abrogation du mariage homosexuel, considérée comme aussi secondaire que « la culture du bonzaï ». Tous avaient appuyé l’exclusion de Jean-Marie Le Pen. Tous sont
favorables à un changement de nom du parti, dont ils partagent tout de même les orientations de fond: préférence nationale, sortie de l’euro…
Le meneur de cette escouade s’appelle Joffrey Bollée. A 26 ans, ce conseiller régional d’Ile-de-France à la voix douce est le directeur de cabinet de Philippot. Son homme de confiance. Ancien adhérent du parti de Nicolas Dupont-Aignan, il a approché son actuel patron après un colloque de Marine Le Pen en novembre 2011. Ils ne se sont plus quittés. « Il peut commencer une phrase et je la finis », explique ce titulaire d’un master 2 en histoire médiévale collé à son smartphone. Adepte des réseaux sociaux comme son boss, il n’avait pas hésité à enterrer sur Twitter le fondateur du parti : « Les pleurnicheries de Jean-Marie Le Pen sont ridicules. Il se plaît à jouer l’homme plein d’honneur? Qu’il assume et qu’il parte ! » Pour cet ancien stagiaire à « l’Express » et à Canal+, pas de doute, son patron a changé le FN et attiré de nouveaux cadres: « Florian est considéré comme un modèle par les jeunes diplômés qui nous rejoignent, c’est une personnalité attractive. »
Entre ces recrues prometteuses et le vice-président, tout commence souvent par un échange de mails. Certains l’ont contacté spontanément, rassurés par ses propos « certifiés sans dérapage » et son côté « techno ». Diplômé en histoire économique et en lettres, Loup Viallet, 25 ans, s’est décidé à écrire à l’énarque au début de 2014. Cet ancien collaborateur du chevènementiste Georges Sarre trouvait que Philippot était « le meilleur de sa génération ». Il lui a envoyé des notes sur son sujet de prédilection, l’action de la France en Afrique. Il faut croire qu’elles étaient pertinentes : ce jeune homme aux faux airs de latin lover a été nommé à la tête du collectif Mer et Francophonie, au cabinet du vice-président, et est désormais salarié du groupe FN dans le Grand Est également présidé par Philippot.
D’autres ont classiquement adhéré dans des sections locales, avant d’être repérés par le numéro deux du parti. Eric Richermoz, 23 ans, militait à Lille en parallèle de ses études de commerce. En juin 2014, il a reçu un message privé du député européen. « Dans le cadre d’une association étudiante que je présidais, j’ai été amené à dîner avec le PDG de Walmart et de Coca-Cola France. J’ai posté la photo sur Twitter. Dans la soirée, j’ai reçu un message de Florian: il me proposait de le rencontrer la semaine suivante », raconte cet Yvelinois d’origine. Le courant est passé: le jeune homme, invariablement vêtu d’un costume-cravate bleu marine qui tranche avec son visage poupin, siège désormais au conseil régional des Hauts-de-France et est secrétaire général de Nouvelle Ecologie, le collectif de l’« écologie patriote ». Il s’y attelle tout en finissant son mémoire de fin d’études. Autre promu: Jordan Bardella, 20 ans, secrétaire départemental de Seine-Saint-Denis, animateur de Banlieues patriotes et étudiant en géographie à la Sorbonne. « Je ne dirais pas que j’appartiens à la “team” Philippot, dit-il, car il est dangereux de se laisser enfermer dans une case. »
Ces jeunes pousses savent faire. Quand on les rencontre autour d’un café, leur maîtrise des codes de la communication saute aux yeux. Avant de venir, tous ont manifestement potassé un précis de langue de bois. Appartiennent-ils à la génération Philippot? Page 32 du manuel : « Nous sommes proches de Florian Philippot, mais nous appartenons à la génération Marine Le Pen. Les philippotistes sont des marinistes. » Les clins d’oeil de Marion Maréchal-Le Pen à la droite cathoconservatrice les dérangent-ils? Page 46 : « Il peut y avoir des différences de sensibilité, mais il n’y a qu’une seule ligne : celle de Marine Le Pen. » A les écouter, aucun n’a suivi de formation particulière pour répondre aux médias, mais « il y a du mimétisme avec Florian ».
Le FN, une pépinière de recrues Philippot? Le numéro deux reconnaît jouer les DRH: « Je ne rencontre pas tous les nouveaux adhérents, mais j’aime bien savoir ce qu’un jeune patriote a dans les tripes. Je suis leur interlocuteur logique et naturel en tant que viceprésident chargé de la stratégie. » Le déroulé ne varie jamais : d’abord un café ou un verre de rosé en terrasse à Paris. Ensuite, la commande d’une fiche de synthèse sur un sujet de fond. S’il donne satisfaction, le candidat est intégré au cabinet de Philippot. Ce travail recouvre une activité unique, souvent bénévole: envoyer des notes sur tout, l’actualité ou la géopolitique. L’énarque en raffole. Mais pas question d’apparaître comme un chef de clan. Lorsque « l’Obs » lui propose de poser avec ses poulains, il refuse, arguant que son entourage ne se réduit pas à cette jeune garde. Laquelle tergiverse aussi au moment de poser ensemble, par peur de « passer pour un petit groupe sectaire de jeunes philippotistes ». Philippot se mouille en tout cas pour eux. Il a pesé de tout son poids auprès de Marine Le Pen pour les faire investir aux régionales. « On ne fait pas de politique sans mandat. Quand ils le souhaitent, ils ont mon appui parce qu’ils le méritent », assume-t-il. Pour garder ces cadres prometteurs, le FN ne fait pas les choses à moitié : la plupart cumulent leur mandat d’élu avec un job d’assistant parlementaire ou de salarié du parti. Il faut dire que le Front a beau fustiger les élites, leurs diplômes impressionnent.
Bien sûr, ces ascensions éclair agacent dans la galaxie frontiste. Jean-Marie Le Pen évoque « des sciencepoliticards qui arrivent au moment des investitures et sont choisis sur titre ». Pour son assistant parlementaire, Lorrain de Saint Affrique, « Philippot essaie de noyauter
le parti en plaçant ses amis, comme Bruno Mégret l’avait fait dans les années 1990 ». Ex-président du FNJ [Front national de la Jeunesse, NDLR], Julien Rochedy a quitté le mouvement fin 2014 en fustigeant l’influence de ceux qu’il appelle les « petits mecs ». Selon lui, « absolument tout le monde au FN “râle sous cape” à propos de Philippot et de ses types. Mais devant les journalistes, ils ont peur, car il y a Marine Le Pen derrière». Paul-Marie Coûteaux, qui a présenté Philippot à Marine Le Pen en 2011, y voit une stratégie de celui qu’il décrit comme un « grand calculateur qui tisse sa toile au FN, comme une araignée. Quand il est arrivé, il n’avait aucun réseau. Alors il s’est appuyé sur les jeunes qui sont connus pour être des éléments moteurs au sein des partis. Ce sont ses relais ». Coûteaux imagine Philippot prêt à retourner ses « affidés » contre Marine Le Pen. Elle ne semble pas s’en inquiéter. Ces têtes bien faites et bien pleines n’incarnent-elles pas la capacité du FN à se transformer en parti de gouvernement? Un jour de 2014, la patronne est pourtant entrée dans une colère noire en découvrant une initiative qui semblait signée de ces jeunes culottés : une page « Génération Philippot », créée sur Facebook, tout à la gloire de l’énarque! « Je ne sais pas qui c’est, jure aujourd’hui Joffrey Bollée, sourire en coin. Mais si je le savais, je ne vous le dirais pas. » Un autre enseignement du précis de langue de bois ?