L'Obs

Le procès de Drieu

TOUT A UNE FIN, DRIEU, PAR GÉRARD GUÉGAN, GALLIMARD, 144 P., 10 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Avec Gérard Guégan (photo), c’est toujours Clio de 5 à 7. L’auteur de « Rimbaud et Saint-Just font du théâtre » adore donner à l’histoire, qu’il culbute à la hussarde, des rendez-vous clandestin­s, et lui faire des enfants naturels. Dans ses derniers livres, où tout est vrai, où tout est faux, il a prétendu que Stendhal sortait d’un bordel spécialisé dans les jeunes vierges avant d’être foudroyé, en 1842, rue Neuve-desCapucin­es, et qu’Aragon avait connu, en 1952, une semaine d’extase au lit avec un bel agent blond du Komintern. Aujourd’hui, il soutient que Drieu la Rochelle fut enlevé rue Saint-Ferdinand, à Paris, la veille de son suicide au Gardénal, le 15 mars 1945. Ses ravisseurs ont de drôles de noms : Marat, Rodrigue, Maréchal, Héloïse… Ils sont jeunes, résistants et communiste­s. Ils ont combattu les nazis et, pour certains, gardé le silence sous la torture. Ces héros sont exaltés. L’écrivain collabo, qui se terre depuis sept mois entre les Yvelines, la Seine-etMarne et les Ternes, est certain d’être condamné à mort par ce petit groupe d’irrégulier­s qui l’emmène, menotté, les yeux bandés, dans une salle où, sous l’Occupation, se réunissaie­nt les « renégats ».

Ce verdict, Drieu l’attend et l’espère. Car le romancier du « Feu follet » est à bout de souffle. Il étouffe dans sa mauvaise conscience et son manteau anglais, « vestige de sa splendeur passée ». Il confesse avoir raté sa vie, ses amours, sa postérité et ses romans. Le fasciste n’aura même pas eu le temps de réaliser son dernier rêve : devenir communiste. Il pense mériter ce procès, fût-il expéditif, auquel Brasillach ou Rebatet n’ont pas échappé. Alors, il se soumet à ses juges, qui se disent mandatés par leurs morts, leurs modèles, Politzer, Decour, Prévost ou Desnos. Il y a trois mois, Aude Terray racontait avec rigueur « les Derniers Jours de Drieu la Rochelle » (Grasset). Le moraliste et fabuliste Gérard Guégan a choisi de les récrire à sa manière, subjective et insolente, dans un petit livre aussi troublant que convaincan­t. Il tutoie et morigène l’accusé comme un copain fourvoyé, lui suggère une épitaphe, lui offre un dernier verre de saintpourç­ain, n’hésite pas à convoquer Stendhal et Vailland à l’heure du jugement dernier, et, in fine, illustre avec brio le mot de La Fontaine : « Si la vérité vous offense, la fable au moins se peut souffrir. »

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