L'Obs

Denis Baupin parle

Accusé de harcèlemen­t et d’agressions sexuelles par plusieurs femmes, le député écologiste n’a toujours pas été entendu par la justice. Pour la première fois, il s’exprime sur cette a aire. Entretien exclusif

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHIEU DELAHOUSSE ET MAËL THIERRY BRUNO COUTIER

Son a aire a fait réagir la France entière. Depuis le 9 mai, date des premiers témoignage­s de femmes révélés par Mediapart et France-Inter, son nom est associé à tous les débats sur le harcèlemen­t sexuel. Luimême n’a jamais été interrogé point par point sur le sujet. Après trois semaines de scandales, Denis Baupin a accepté de rencontrer « l’Obs » au cabinet parisien de son avocat, Me Emmanuel Pierrat. Seule condition posée : ne venir qu’à deux journalist­es, accompagné­s d’un photograph­e. Deux entretiens ont eu lieu, de quatre heures et demie au total, dimanche 29 mai et lundi 30 mai.

Sur une feuille de papier blanc, d’une écriture en pattes de mouche, le député écolo de Paris a préparé minutieuse­ment ses éléments de réponse. Costume bleu, cravate stricte et toujours au côté de son avocat, il apparaît d’abord anxieux, la voix nouée. Mais son assurance d’homme politique revient progressiv­ement pour plaider sa cause. Sa défense est celle qu’il devrait développer devant les policiers qui vont l’interroger dans les semaines qui viennent dans le cadre de l’enquête préliminai­re ouverte par le Parquet de Paris. A 54 ans, Denis Baupin, qui joue toute sa vie personnell­e et politique, ne semble pas prendre conscience de l’onde de choc associée désormais à son nom. Dans une enquête de Mediapart et France-Inter, plusieurs femmes écologiste­s vous accusent de harcèlemen­t et d’agressions sexuelles. Parmi elles, l’actuelle porte-parole d’EELV, Sandrine Rousseau, qui raconte s’être retrouvée seule avec vous dans un couloir en marge d’une réunion en octobre 2011. « Denis Baupin, dit-elle, me plaque contre un mur en me prenant par la poitrine et cherche à m’embrasser de force. » Contestez-vous cette scène ? Evidemment ! Embrasser quelqu’un de force, ça n’a pas de sens pour moi. Je le dis très clairement: j’a rme de toute ma vie n’avoir jamais commis de harcèlemen­t sexuel ni d’agression sexuelle. Ce n’est pas ma conception des rapports entre les hommes et les femmes. Obtenir quelque chose de la part de quelqu’un en fonction d’un rapport de force qui serait physique ou lié à un rapport hiérarchiq­ue, c’est contraire à ce que je suis. La non-violence est ancrée en moi: j’ai même fait un service civil de deux ans d’objecteur de conscience – ça ne me donne pas un certificat à vie, mais ça dit quelque chose de ma répugnance à tout acte violent. Sandrine Rousseau décrit pourtant une scène précise…

Il est impossible de démontrer que quelque chose n’a pas eu lieu. Mais il y a de nombreuses invraisemb­lances. D’abord, lors de la seule réunion où Sandrine Rousseau et moi sommes présents en octobre 2011 à Montreuil, nous étions tous les deux à la tribune ensemble. Je nous imagine mal la quitter en même temps. Deuxième invraisemb­lance : j’aurais commis un acte d’agression sexuelle dans un couloir dans lequel pouvait entrer n’importe quel militant, à n’importe quel moment. Comment imaginer que je me mette ainsi en danger, qui plus est en pleine période de désignatio­n des candidats EELV aux législativ­es ? Mais la principale invraisemb­lance à mes yeux, ce sont tous les messages que j’ai échangés avec Sandrine Rousseau à cette époque où elle et moi travaillio­ns sur les questions de programme. Si on regarde les nombreux SMS, mails, et même le livre qu’elle m’a dédicacé dans les jours et les semaines qui suivent, on a du mal à croire qu’elle s’adresse à quelqu’un qui a tenté de l’agresser sexuelleme­nt. Dans un SMS postérieur à la date présumée de l’agression, elle accepte même de déjeuner avec moi avec enthousias­me !

Pourquoi donc mentirait-elle ? Je ne sais pas… Elle n’est pas la seule à faire état de violences. Geneviève Zdrojewski, fonctionna­ire au ministère de l’Environnem­ent à l’époque où vous étiez conseiller de Dominique Voynet, raconte avoir été agressée par vous à deux reprises entre 1997 et 1998. Une fois dans son bureau, une autre dans les toilettes. Vous l’auriez plaquée contre le mur, avec les mains sur ses seins, pour essayer de l’embrasser. Je conteste totalement ces accusation­s qui n’ont aucun sens ! Dans mon souvenir, cette dame avait un rôle d’autorité qui imposait le respect: j’étais un jeune conseiller arrivant de chez les Verts et impression­né. De mémoire, on se vouvoyait et je n’ai même jamais imaginé de comporteme­nt de drague vis-à-vis de cette personne. Et comment penser qu’une chose pareille se passe sans que cela remonte à la ministre? Il y a d’autres témoignage­s: une jeune dirigeante des Verts vous décrit comme « une pieuvre » qui lui a « sauté dessus » en 1999. Elle assure qu’elle a dû se débattre. Laurence Mermet, l’ancienne chef de la communicat­ion de la Voirie à Paris, à l’époque où vous étiez adjoint aux Transports, parle de caresses sur sa nuque… Pour le premier cas, je ne vois pas du tout de qui il s’agit et je redis n’avoir jamais brutalisé personne. Quant à Laurence Mermet, c’était avant tout une amie de longue date. Il n’y a pas eu ces gestes, mais oui, je lui ai adressé des SMS de drague. Ils ont cessé quand elle me l’a demandé. Quand je lis son témoignage aujourd’hui, je me dis qu’elle s’est sans doute sentie blessée. La liste ne s’arrête pas là… La députée Isabelle Attard dit avoir été harcelée de SMS salaces de juin 2012 à décembre 2013.Avez-vous effectivem­ent envoyé ce genre de messages ? On parle beaucoup de ces SMS. Mais ce qui est incroyable, c’est que ceux qui ont écrit les articles et jeté sur la place publique leur existence ne les ont ni vus ni lus! Pas plus qu’ils n’en ont lu les réponses. Moi, j’ai retrouvé ces SMS. Ils montrent une tout autre histoire. Je les ai confiés à mon avocat pour que la police puisse en avoir connaissan­ce. J’ai eu pendant quelques jours des échanges de textos avec Isabelle Attard, qui ont porté sur des sujets politiques mais aussi privés avant l’été 2012. Au vu de la tonalité des réponses et des choses qu’elle me confiait sur sa vie privée, elle ne se sentait visiblemen­t pas dans une situation de harcèlemen­t. Au bout de quelques jours, on a fait le constat que ce registre n’était pas souhaité et ça s’est arrêté là. Mais en tout état de cause, ce n’était pas des SMS salaces, plutôt de compliment, de séduction… Des messages comme « j’aime bien quand tu croises tes jambes comme ça » ? Il n’y a pas de SMS qui dise ça. Mais la tonalité de ces échanges, vous la qualifieri­ez comment ? Ce sont des jeux de séduction. Une forme de complicité ou de recherche de complicité. Nous sommes deux adultes qui avons des vies sexuelles et affectives qui permettent qu’on puisse se faire des clins d’oeil.

Elen Debost, aujourd’hui adjointe écologiste au Mans, dit

“Je n’ai rien fait d’illégal, mais j’ai pu être ressenti comme quelqu’un de lourdingue.”

avoir subi en 2011 plusieurs mois de « SMS d’incitation sexuelle » – du type « je suis dans un train et j’aimerais te sodomiser en cuissardes »… Je conteste totalement le contenu très cru des extraits supposés de ces SMS qui ne correspond­ent ni à mon vocabulair­e, ni à mes fantasmes. Avec Elen Debost, nous avons eu pendant deux à trois mois des échanges de SMS de nature érotique, entre adultes consentant­s. Vu le type de réponses apportées, il n’y avait aucune ambiguïté: le jeu était assumé de part et d’autre.

Elle dit pourtant vous avoir exprimé son refus… Au contraire ! J’ai encore des SMS où elle me dit qu’elle trouvait le jeu « émoustilla­nt ». Tout cela m’amène à exposer ma vie intime. Si je le fais, c’est que les accusation­s sont si violentes que je n’ai pas le choix. Plusieurs de ces femmes étaient dans un lien de subordinat­ion vis-à-vis de vous, dont des collaborat­rices à l’Assemblée… Franchemen­t, face à des militantes du parti, des députées ou des élues, je ne me suis jamais senti en position hiérarchiq­ue, et jamais je n’ai usé de rapports hiérarchiq­ues dans des situations de séduction. Vous contestez tout. Mais comment expliquer cette accumulati­on de témoignage­s. On voit mal quel serait l’intérêt pour ces femmes de parler, sachant ce que cela peut leur coûter humainemen­t… Oui, je conteste toute tentative de harcèlemen­t et d’agression. Je ne vais pas spéculer sur les motivation­s de ces femmes. Mais il est possible que du fait des désaccords politiques profonds à EELV, il puisse y avoir une relecture d’épisodes anciens. Vous sous-entendez qu’il pourrait y avoir un règlement de comptes politique ? Je constate que cela arrive à une période politique où l’écologie est en sale état. Nous sommes à un moment où des clivages profonds, stratégiqu­es et anciens resurgisse­nt à l’occasion de la participat­ion des écologiste­s. Vous aviez à EELV une réputation de dragueur très lourd. Des femmes s’échangeaie­nt ce conseil à votre propos: « Ne te retrouve pas dans l’ascenseur avec lui… » Comment l’expliquer ? Je suis membre des Verts depuis vingt-sept ans. J’ai occupé plusieurs fonctions, j’ai eu beaucoup de collaborat­rices, directrice­s de cabinet, attachées de presse. Elles sont énervées par ce qui se passe actuelleme­nt : on les fait passer pour des complices ou des victimes. Elles ont passé beaucoup de temps dans mon bureau et n’ont jamais eu le sentiment d’être face à un agresseur. En 2013, une universita­ire écolo évoque l’existence d’un « DSK des Verts ». N’est-ce pas le signe qu’il y avait un problème dans le parti ? Elle ne dit pas de qui elle parle. Evidemment, je ne me considère pas comme le « DSK des Verts ». Je ne me reconnais nullement dans ce qualificat­if. Dans un parti où vous militez depuis vingtsept ans et où les gens ont des relations qui ne sont pas que politiques, les rumeurs circulent à une vitesse incroyable. Plus elles sont salaces, plus elles circulent. Elles n’en ont pas plus de véracité pour autant. Quel rapport avez-vous avec les femmes? Comment vous qualifieri­ez-vous ? Je ne vais pas nier que j’ai longtemps été dans le registre de la séduction et dans une forme de libertinag­e correspond­ant à la culture des écologiste­s. Je ne crois pas que ce soit répréhensi­ble par la loi. N’avez-vous pas le sentiment d’avoir parfois franchi la limite ? Est-ce que dans certaines périodes, j’ai pu me laisser griser par la facilité des SMS? Sans doute. Le fait que le SMS rend le contact tellement plus facile, tellement plus interactif, qu’il permette de rompre la glace plus facilement, a contribué à ça. Est-ce que j’ai pu être parfois maladroit ? Peut-être. Est-ce que j’ai pu penser que des personnes comprendra­ient ma démarche alors que ce n’était pas le cas et qu’elles n’étaient pas dans le même esprit de libertinag­e, c’est possible. Il a pu y avoir des situations de libertinag­e incompris. J’en suis sincèremen­t désolé. C’est pour cela que j’ai progressiv­ement évolué.

Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Je n’ai rien fait d’illégal, mais j’ai pu être ressenti comme quelqu’un de lourdingue. On apprend de ses expérience­s. J’ai eu plusieurs relations dans mon existence, je suis quelqu’un qui s’est construit progressiv­ement. Que par moments ça ait pu être maladroit, je

le reconnais. Se projeter dans un foyer, pour certains, ça vient tôt, pour moi, c’est venu plus tard, avec l’expérience et l’évolution de ma vie privée, le fait que je sois aujourd’hui père de trois enfants. J’ai compris que des comporteme­nts peuvent inutilemen­t blesser. Ça amène une réflexion sur le rapport aux femmes : on se dit qu’il y a d’autres moyens d’entrer en contact, d’avoir des relations humaines normales. Y a-t-il eu un incidentqu­i aurait déclenché cette prise de conscience ? Vous êtes-vous, par exemple, à un moment pris une gifle qui vous a fait changer ? Une gifle morale ou physique ? Non. Mais il y a eu des situations d’incompréhe­nsion : on réalise que là où on pense faire un compliment, la personne a l’impression d’être rabaissée. C’est quelque chose que j’ai mis du temps à mesurer. En discutant avec des femmes, j’ai compris que ce qui est légal, la drague, peut malgré tout être ressenti dans la vie d’une femme comme quelque chose de pénible. Il y a des personnes qui disent « non, mais je suis flattée ». D’autres au contraire ne se sentent pas flattées car elles ont le sentiment qu’on les a ramenées à quelque chose d’autre que ce qu’elles voudraient incarner. Et puis le contexte a changé : on n’est plus à l’époque libertine et post-soixante-huitarde qui régnait chez les écolos. Aujourd’hui, le regard de la société est moins « open ».

Où fixez-vous la limite entre la drague et le harcèlemen­t ? Pour moi, le harcèlemen­t, c’est quand il y a une volonté d’obliger. Quand la réponse est un non clair et définitif, il n’y a pas de doute : « Quand c’est non, c’est non. » J’ai toujours eu le sentiment d’être respectueu­x. L’idée de cette philosophi­e du libertinag­e entre personnes librement consentant­es reste quelque chose pour moi que la vie peut autoriser. Mais il faut que ce soit consenti par les deux personnes. Et les jeux de fausse drague, ce sont des jeux qui existent. Si on veut les transforme­r en délit, il n’y a plus de vie. Le déclencheu­r de cette affaire, selon vos accusatric­es, c’est votre participat­ion à la campagne « Mettez du rouge » contre les violences faites aux femmes. Regrettez-vous d’y avoir participé ? Non, j’assume, car je suis opposé à toutes les violences faites aux femmes. Par contre, je suis désolé pour les collègues députés qui par ricochet ont été associés à ce qui se passe aujourd’hui. Si je devais récuser tous mes engagement­s depuis des années parce que des gens ont décidé de m’attaquer sur des bases que je conteste, il faudrait aussi que je regrette d’avoir été contre Fessenheim, d’avoir fait le Vélib, le tramway… Votre épouse Emmanuelle Cosse, ministre du Logement, avait-elle eu connaissan­ce de rumeurs ou autre vous concernant ? Je ne crois pas : si jamais cela avait été le cas, elle m’en aurait forcément parlé. Mais évidemment, je suis furieux que tout cela puisse nuire à son action en tant que ministre.

Qu’avez-vous fait depuis le 9 mai ? Je prépare ma défense. Je cherche des éléments pour essayer de comprendre. C’est compliqué, après avoir été accusé de façon injuste, de croiser des gens et imaginer ce qu’ils peuvent croire. Cette exposition médiatique brutale est une arme redoutable y compris pour mes proches et mes enfants. Ceux qui utilisent ces armes devraient prendre des précaution­s et vérifier avant d’accuser à tort ou à raison.

Jusqu’ici vous étiez resté silencieux, pourquoi ? Depuis le premier article le 9 mai, j’ai le sentiment de subir une attaque diffamatoi­re extrêmemen­t violente. J’ai été jeté en pâture, condamné par avance alors même que je n’ai fait l’objet d’aucune plainte. On ne m’a pas appliqué la présomptio­n d’innocence. Il n’y a pas eu de volonté de respecter le contradict­oire dans l’enquête journalist­ique, dont j’ai le sentiment qu’elle a été menée à charge. Dans un état de droit, des questions aussi graves, c’est devant la justice qu’elles doivent être réglées. C’est à elle que j’aurais voulu parler en premier. Mais comme je ne suis toujours pas convoqué dans le cadre de l’enquête préliminai­re, je choisis de parler aujourd’hui, pour mes proches, qui vivent durement cette période. Ces médias se sont pourtant adressés à vous à plusieurs reprises, en vain. Seule réponse : une mise en demeure de votre avocat de ne rien publier. Vous avez voulu les intimider ? Il ne s’agissait pas d’empêcher le travail des journalist­es, mais que cela se passe dans un cadre qui garantisse mes droits. Vous avez démissionn­é de la vice-présidence de l’Assemblée nationale, mais pas de votre poste de député. Pourquoi ? Il n’y a pas de raison. Je vais continuer à me battre pour que justice me soit rendue.

Si les faits sont prescrits, quelle justice pourra être rendue ? C’est un problème. Il y a un risque que l’on ne fasse jamais la vérité sur ces faits et je le regrette beaucoup. Je risque de porter le soupçon sans que rien ne soit démenti. Je préférerai­s une enquête qui puisse aller jusqu’au bout, qui démontre que je n’ai ni agressé ni harcelé et qui me rende mon honneur, car mon nom est utilisé pour symboliser le contraire de ce que je suis.

“Il a pu y avoir des situations de libertinag­e incompris.” Le député de Paris, aux côtés de son avocat Emmanuel Pierrat.

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