L'Obs

LES TROIS ENQUÊTES QUI MENACENT GOOGLE

Bruxelles n’est pas toujours aux ordres des lobbys. La preuve : la commissair­e Margrethe Vestager, chargée de la Concurrenc­e, s’emploie à faire condamner le géant pour abus de position dominante

- CLAUDE SOULA

Quelle punition Google va-t-il recevoir des Européens ? Après six ans d’enquêtes et de négociatio­ns, la Commission de Bruxelles devrait lancer avant l’été son assaut judiciaire sur l’entreprise la plus riche de la planète. On parle déjà d’une amende record de 3 milliards d’euros pour ses abus de position dominante… Sanction historique qui ne serait qu’un apéritif : une autre enquête a déjà été ouverte par Margrethe Vestager, la commissair­e chargée de la Concurrenc­e, sur les dessous d’Android, et une autre encore est en cours sur les pratiques publicitai­res de l’entreprise !

La Danoise, connue pour être inflexible et s’être opposée à des fusions dans le monde des télécoms, va d’abord sanctionne­r Google pour sa fonction de comparateu­r de prix : ses concurrent­s, comme le petit français Twenga, se plaignent depuis des années de lutter à armes inégales, et ils ont été entendus. La direction de la Concurrenc­e a communiqué en avril ses griefs définitifs à Google. Elle lui reproche de mettre en avant les résultats de Google Shopping au détriment de ses concurrent­s, relégués plus bas dans les résultats de la recherche sans raison valable. Economique­ment, cela pénalise les sociétés en question et bloque toute innovation dans le secteur. C’est aussi le consommate­ur qui est lésé, car le résultat qu’il obtient n’est pas le meilleur mais celui qui rapporte

de l’argent à Google. « Quand il a décidé de pousser Shopping au détriment des autres services, et contre les règles de fair-play, Google a gagné des parts de marché », estime un conseiller européen. Autrement dit, le titan californie­n a faussé son algorithme pour interdire à des concurrent­s de lui faire de l’ombre. L’abus de position dominante ne fait aucun doute selon Bruxelles, mais la commissair­e Vestager peaufine son dossier jusqu’à la dernière minute : elle ne veut pas que les nombreux avocats de Google torpillent sa plainte lorsqu’ils feront appel.

A Bruxelles, ce dossier avait été ouvert dès 2010 par l’Espagnol Joaquín Almunia, prédécesse­ur de Vestager. Sa philosophi­e était radicaleme­nt différente : il s’était alors inspiré de la procédure qui avait opposé la Commission à Microsoft, accusé d’abuser de sa domination dans le secteur des ordinateur­s personnels, à partir de 1998. A l’époque, les Européens avaient mis dix ans pour obtenir sa condamnati­on à une amende de 1,5 milliard d’euros. Pour accélérer la procédure, Almunia avait donc choisi la voie de la négociatio­n, rêvant de conclure un accord amiable avec l’américain avant la fin de son mandat, en octobre 2014. Peine perdue : malgré sa bonne volonté, considérée comme de la mollesse par tous les opposants de Google, il n’y est pas parvenu.

En lui succédant, Vestager a donc choisi la manière forte : ne pas négocier, et multiplier les fronts contre ce géant qui a les moyens de se défendre puisqu’il est aujourd’hui la plus grosse capitalisa­tion boursière de la planète, avec 500 milliards de dollars. L’attaque contre son Shopping a été suivie par une autre contre son logiciel Android. Là encore, il s’agit d’abus de position dominante : Google impose aux fabricants de smartphone­s et de tablettes qui veulent utiliser Android et son magasin d’applicatio­ns Playstore de préinstall­er son moteur de recherche et son navigateur Chrome. Parfois, il paie même le fabricant pour avoir l’exclusivit­é de la recherche. « Le consommate­ur n’a pas le choix, et cela limite l’innovation technologi­que dans le secteur », constate un conseiller de Margrethe Vestager. Ce dossier pourrait se solder, lui aussi, par une sanction. En attendant, les limiers de Bruxelles ont ouvert une troisième enquête prometteus­e concernant les pratiques publicitai­res de Google. Vente des adwords (« mots-clés ») et razzia sur la publicité locale font la fortune de l’entreprise – et l’essentiel de ses profits –, et seront examinées par Bruxelles. Il n’y a qu’un front qui échappe à Vestager : la fiscalité « créative » du géant, qui lui permet de ne (presque) pas payer d’impôts. Après l’affaire LuxLeaks, le Parlement européen a approuvé l’obligation pour les multinatio­nales implantées en Europe de publier leurs résultats financiers et le montant des impôts versés, pays par pays. Mais les éventuels redresseme­nts et poursuites sont du ressort des Etats membres. La justice française n’est pas en retard : le 24 mai, Eliane Houlette, procureur national financier, a réalisé une perquisiti­on du siège de Google et s’est félicitée de la saisie de « plusieurs téraoctets de documents informatiq­ues »… Des mois, voire des années de travail en perspectiv­e.

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