L'Obs

Suicide, mode d’emploi

Après avoir conquis la France avec “le Goût du bonheur”, la Québécoise Marie Laberge autopsie la famille d’un jeune mort CEUX QUI RESTENT, PAR MARIE LABERGE, STOCK, 576 P., 22,50 EUROS.

- CLAIRE JULLIARD

Dix ans après sa fameuse trilogie romanesque, Marie Laberge revient avec un livre intense, nourri de sa belle énergie. Le thème pourtant n’a rien de réjouissan­t. En avril 2000, Sylvain Côté, un homme de 29 ans, un charmeur à qui tout semble réussir se donne la mort sans laisser un mot d’explicatio­n. Sa famille et ses proches sont abasourdis. Des années après, « ceux qui restent » tentent encore de comprendre. L’auteur fait résonner leurs voix en créant un formidable chahut de pensées, d’émotions et de sensations. La maîtresse du défunt, Charlène, barmaid rock’n’roll à la sexualité à fleur de peau, au style populaire tru é de tournures québécoise­s, impose sa truculence à l’ensemble. Plus discrète, Mélanie, l’épouse du disparu, s’alarme du comporteme­nt de son fils, Stéphane, un jeune homme déroutant et secret. L’inquiétant­e Muguette, la mère de Sylvain, est depuis toujours une femme fragile et dépressive. La mort de son fils la précipite dans un délire paranoïaqu­e qui l’oblige à entrer en clinique. Son mariage avec Vincent n’y survivra pas. Ce dernier pense que son fils a sou ert autant que lui de la personnali­té de Muguette. Taraudé par la culpabilit­é d’avoir élevé un enfant dans un désert conjugal dénué de toute joie, il enquête sans relâche sur les raisons de ce geste ultime. Poussé par son obsession, Vincent finit par atterrir, tout comme Stéphane, dans le bar de Charlène… Le suspense reste entier, il tient en haleine jusqu’au bout de cet épais récit psychologi­que. Dont l’attrait réside avant tout dans l’étonnante chorégraph­ie de personnage­s qui se croisent, se surveillen­t, se désirent, se haïssent et finissent parfois par s’aimer. La Québécoise Marie Laberge, dramaturge autant que romancière, a l’art de faire vibrer ses créatures. Son livre analyse les conséquenc­es d’un suicide, un ébranlemen­t sans fin pour les proches. Chacun se débat comme il peut. On les voit sombrer, se ronger de l’intérieur et, pour certains comme Vincent, se réveiller, évacuer les faux-semblants et se récupérer, coûte que coûte. C’est finalement le courage de vivre que célèbre ce texte puissant.

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