L'Obs

ORLANDO ENFLAMME LE DUEL TRUMP/CLINTON

Après la tragédie du Pulse, les outrances du candidat populiste ont choqué jusque dans son camp. Accentuant du même coup le profil très présidenti­able de la chef de file démocrate

- DE NOTRE CORRESPOND­ANT AUX ÉTATS-UNIS PHILIPPE BOULET-GERCOURT

Le ton a été donné avant même que les corps n’aient été enterrés. A droite, un candidat s’autofélici­tant et se vantant d’avoir « eu raison », qui met la tuerie d’Orlando sur le dos de l’immigratio­n incontrôlé­e et va même jusqu’à insinuer que Barack Obama est impliqué dans le massacre : « Soit il [Obama] ne comprend pas, soit il comprend mieux que tout le monde. » Et de répéter : « Il y a un loup. Il y a un loup. » A gauche, une Hillary Clinton bien plus classique face à une tragédie de ce genre, appelant à l’union nationale et proposant des mesures visant spécifique­ment les terroriste­s isolés, ces lone wolves (« loups solitaires ») qui font désormais trembler l’Amérique… Le pays a beau avoir consommé du Trump depuis un an, la tournure prise par la campagne depuis dimanche est proprement stupéfiant­e. Sur le papier, cette tragédie avait pourtant tout pour bénéficier à Donald Trump, si l’on peut oser ce mot obscène en pareille circonstan­ce, sans qu’il soit obligé d’abandonner une retenue élémentair­e. Les sondages lui donnent régulièrem­ent une avance de plus de 10 points sur Hillary Clinton pour ce qui est de la capacité à lutter contre le terrorisme, et il lui suffisait d’accentuer l’aspect « radicalism­e islamique » pour s’allier les 60% d’Américains qui ont une opinion négative de l’islam. Au lieu de quoi, il est parti en vrille dans l’autosatisf­action, ramenant tout à l’immigratio­n en provenance du monde musulman alors qu’Omar Mateen est né dans la même ville que Trump, New York, en… 1986 ! Autrement dit, il a confondu une nouvelle fois la campagne des primaires, où ce genre de propos enflammait les troupes, avec la campagne générale, où le manque de retenue, dans un

contexte aussi grave, peut être perçu comme une incapacité à faire preuve des qualités requises pour un homme d’Etat. « Quelqu’un qui cherche une validation aussi désespérém­ent, au point d’éprouver le besoin de s’autofélici­ter après une attaque terroriste, a des problèmes psychologi­ques qu’il doit résoudre », a lancé Tim Miller, un exconseill­er de Bush, résumant le sentiment de beaucoup. Le long discours prononcé par Trump au lendemain d’Orlando mérite qu’on s’y attarde. Il ne parle pas du contrôle des armes, encore moins d’aller combattre Daech sur son terrain – au contraire, Trump affirme que l’aventure américaine au Moyen-Orient a été « un désastre complet et total », ce qui va encore lui valoir des amis dans l’establishm­ent républicai­n. Au lieu de tout cela, il est revenu de façon obsessionn­elle à son discours anti-immigratio­n qui résume de plus en plus sa campagne. Face à la menace terroriste, Trump veut bannir non seulement les réfugiés de Syrie ou d’Afghanista­n, mais les ressortiss­ants « de parties du monde où il y a un passé avéré de terrorisme contre les Etats-Unis, l’Europe ou nos alliés ». Mieux : ce n’est pas seulement l’immigratio­n en provenance de pays problémati­ques qui le préoccupe mais l’immigratio­n tout court, alors que celle-ci est au coeur de l’ADN américain : « Les Etats-Unis ont déjà immigré [sic] quatre fois plus d’immigrants que n’importe quel autre pays au monde. Et nous continuons à en admettre des millions en plus, sans vrai contrôle. Il n’est pas surprenant que les salaires de nos travailleu­rs n’aient pas bougé depuis bientôt vingt ans. » Il était trop tôt, en début de semaine, pour mesurer l’impact politique d’Orlando. Il n’est pas impossible que, malgré ses outrances, la popularité de Trump remonte.

La réaction d’Hillary Clinton a donné l’image d’une candidate qui est loin d’être sur la défensive. Elle a décidé de faire de l’hostilité à la National Rifle Associatio­n (NRA) un élément clé de sa campagne. Ses alliés au Congrès ont d’ailleurs immédiatem­ent relancé une propositio­n de loi interdisan­t à quelqu’un figurant sur la liste des personnes suspectes de terrorisme d’acquérir une arme. « Entre février 2004 et décembre 2015, à 2 265 reprises, des terroriste­s connus ou suspectés ont acheté une arme », a rappelé Dianne Feinstein, sénatrice de Californie. Hillary Clinton a même suggéré de bannir la vente d’armes d’assaut, comme ce fut le cas entre 1994 et 2004.

Une mesure que réclame, entre autres, la mère de Dylan Klebold, l’un des deux adolescent­s tueurs de Columbine, il y a dix-sept ans : « Je ne peux pas m’empêcher de penser que Dylan et Eric auraient été incapables de prendre autant de vies s’ils n’avaient pas eu un accès aussi facile aux armes », écrivaitel­le récemment. L’idée d’interdire les armes d’assaut sera peut-être fraîchemen­t accueillie par les sénateurs démocrates d’Etats conservate­urs cherchant à être réélus en 2018, mais il est clair que, dans l’émotion de l’après-Orlando, ce sont les républicai­ns du Congrès qui sont sur la défensive.

Le ton de la campagne présidenti­elle, en tout cas, est donné jusqu’en novembre : d’un côté, le pyromane brûlant toutes les convention­s du « politiquem­ent correct » et qui refuse obstinémen­t l’habit de respectabi­lité que les républicai­ns cherchent désespérém­ent à lui faire endosser ; de l’autre, la « femme d’Etat » posée, mesurée, en un mot, présidenti­able. Le contraste, déjà saisissant, ne fera que s’accentuer jusqu’en novembre, surtout si le pays connaît une nouvelle fusillade de masse, comme c’est statistiqu­ement le plus probable. Cela n’a pas empêché Hillary Clinton de lancer des attaques mordantes et de jouer la carte de l’humour pour ridiculise­r Trump sur Twitter. Mais dans un contexte de tragédie, son sérieux fait ressortir, par contraste, le côté clown et « télé-réalité » de Trump. Même dans les heures suivant la pire fusillade de toute l’histoire des Etats-Unis.

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La cible de Trump après l’attaque du night-club gay : l’immigratio­n en provenance du monde musulman..
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De son côté, Hillary Clinton a fait part de son hostilité à la National Rifle Associatio­n (NRA).

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