L'Obs

Le Bugg de l’année

ON MY ONE, PAR JAKE BUGG (MERCURY/UNIVERSAL).

- GRÉGOIRE LEMÉNAGER

Tiens, revoilà le gosse prodige du folk rock anglais. Quand il avait déboulé fin 2012, le barde nasillard de « Trouble Town » et de « Lightning Bolt » n’avait pas encore 19 ans qu’on le comparait déjà à Rimbaud (pour sa niaque précoce), à Bob Dylan (pour son entêtante voix de canard), à Donovan et Johnny Cash (pour ses mélodies à l’os), au chanteur d’Oasis (pour sa coupe de cheveux et sa manière assez hooligan de faire la tronche). Il y avait de quoi être écrabouill­é par tant de références. Jake Bugg a su se faufiler. Quatre ans plus tard, l’anti-Justin Bieber a vendu, paraît-il, un million d’exemplaire­s de son premier album. Il en a dégainé un autre, produit par le sorcier américain Rick Rubin (« Shangri La »). Et même si « On My One » fait un troisième disque studio assez inégal, il confirme que le Bugg n’était pas temporaire.

Mieux vaut ne pas s’attarder sur les rengaines calibrées pour la FM. On se lasse assez vite de la grosse artillerie déployée sur « Bitter Salt », qui ne recule devant aucune pédale d’e et pour reproduire le son convenu des années 1990 ; et la mélancolie est en crue dans « Love, Hope and Misery » (malgré une trame émouvante, tout est inondé par des violons et des trémolos qui poussent trop à la consommati­on de Kleenex pour avoir l’air honnête). Bugg intrigue davantage quand il sort les rames pour remonter aux origines du rap avec « Ain’t No Rhyme », balance doucement la soul insidieuse de « Never Wanna Dance », puis cherche l’e cacité des machines à danser industriel­les en louchant plus du côté de Prodigy que de Robert Johnson. Mais le meilleur reste ailleurs : quand ce jeune prolo de Nottingham, armé d’une guitare sèche, réinvente le folk urbain et dépouillé qui lui colle à l’âme. Son « Livin’Up Country » tape dans l’oreille comme une ballade des Kinks. « All That » repose sur un joli arpège qui aurait pu être de Paul Simon. On retrouve surtout avec bonheur la voix de Bugg, cette voix insolente de mauvais garçon qui évoque Van Morrison, période « Them », sur des country blues râpeux comme « Hold On You » ou « Put On the Fire ». Et cet art-là culmine dans le morceau qui donne son titre à l’album : « On My One », avant d’être un disque, est une complainte de working class hero qui donne la chair de poule.

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