L'Obs

PLAIRE AUX ANGLAIS

Après Cuba (Chanel) et Rio (Louis Vuitton), le monde de la mode s’est téléporté en Angleterre pour la collection croisière Dior 2017. Sous la pluie, mais sous le charme, aussi

- — par SOPHIE FONTANEL ET YASMIN KAYSER

Dior a prouvé un truc. Venir après les autres, déjà en temps normal, est risqué. Mais venir après les autres en proposant une Angleterre suintante de flotte alors que la concurrenc­e a o ert Cuba (40 °C) et Rio (le Corcovado avec son aube, si bien que même Demna Gvasalia, le DA de Balenciaga, il n’a pas encore pensé à en faire une aussi bien), FALLAIT LE FAIRE. La barre était haute, et les journalist­es jet lag.

Par ailleurs, va-t’en renouveler le mythe anglais… L’imagerie britanniqu­e est forte, peut-être trop: on la reconnaît à peine on aperçoit le moindre taxi, le moindre mu n.

Et comme si ça ne su sait pas, surcroît de défi pour Dior : voici que la mythologie anglaise, les châteaux, le Churchill & co, tout ça est depuis longtemps préempté par Chanel, vu tout comment Coco avait comme qui dirait un droit de cuissage d’avance sur tout le monde, avec son noble amant anglais et son Churchill la sauvant in extremis de bien des tracas, jadis. Dans une telle configurat­ion, que pouvaient les liens concrets et au-delà de légitimes entre Dior et l’Angleterre (deux défilés Dior au château de Blenheim, un en 1954 en l’honneur de la princesse Margaret, et un autre par le jeune Yves Saint Laurent, nouvelleme­nt nommé, en 1958) ? Eh bien ! ils ont pu. Cette croisière Dior, aventureus­e sur le papier, est une réussite en tout point. Même la pluie l’a bénie, c’est un comble. Le château de Blenheim, propriété des ducs de Marlboroug­h, est à une centaine de kilomètres de Londres. Après une nuit au pub (faune mixte modeux/vrais Anglais, pur ra nement), il a fallu y aller. On devait prendre un train spécial, celui qui amène jusqu’à l’Orient-Express, normalemen­t. Désuet à souhait. On « adiorait ». Serait-ce su sant ? Ben oui. Dès l’instant où la clique s’est mise en route, le voyage est devenu « toute une histoire ». On se serait vraiment cru dans un roman d’Agatha Christie. Tout le monde a en tête ces huis clos où les passions et Poirot se déchaînent. Ne manquait que Peter Ustinov. C’est le chef de la communicat­ion de Dior qui jouait ce rôle, on aurait dit, promenant son fin regard en checkant les détails. Vit-il que certains et certaines dérobaient les serviettes de table ? (Parce que les assiettes, hélas, ça se casse. Non, elles n’étaient pas collées aux tables, mais on n’osait pas les remiser dans le sac. Elles auraient dépassé). L’arrivée au château. La flotte partout. Et une musique qui soudain n’avait plus rien à voir avec le karaoké de la veille, au pub (Abba). L’entrée dans le château, un souvenir à jamais dû à l’autorité ahurissant­e du lieu. Une fois dedans, une fois assis, les gens prenaient le plafond en photo. Même les nuls en anglais écrivaient le mot ceiling (plafond) sous leurs posts Instagram. Y avait une joie puérile, d’une e cacité redoutable, à se retrouver à la fois dans « Downton Abbey », dans un script de Robert Altman et dans un bon Wodehouse (auteur hilarant spécialist­e en châtelains blonds et fendards, occasion de vous y mettre). Quant au show lui-même, il était encore une autre façon de pénétrer l’Angleterre, cette fois-ci par ses enfants si chics et terribles de la haute société. Bien sûr, c’est historique­ment la rue anglaise, et sa plèbe défiltrée, en ce siècle, qui ont fabriqué les inoubliabl­es mutations de la mode anglaise depuis les années 1960. Mais la noblesse, elle, a plus que joué son rôle dans tout ça. L’extravagan­ce anglaise, c’est-à-dire la liberté qu’on s’autorise, ça, c’est les aristos anglais. Ça se voit dans un roman comme « Retour à Brideshead » (Evelyn Waugh), ça se voit dans les tenues o duty (dans la vraie vie, donc) d’une Stella Tennant, petite-fille de la duchesse de Devonshire.

Et Lucie Meier, et Serge Ru eux, les deux créateurs en charge du studio Dior depuis le départ de Raf Simons (et peut-être en attendant la nomination imminente d’une nouvelle directrice artistique… euh, ou d’un nouveau), ont tout compris à ce déséquilib­re génial et nécessaire entre le passé et le contempora­in.

La fille Dior croisière 2017 est très maquillée, comme on dit. Ça doit déplaire à sa grand-mère la duchesse, sauf que grannie la boucle parce qu’elle aussi elle veut fermer sa veste avec un foulard cravate passé dans la boutonnièr­e. Elle est verte de ne pas y avoir pensé avant, elle qui pensait tout oser.

La fille porte des colliers et des bracelets identiques, des bottines en cuir verni mais avec un talon plus carré que ceux de Virginia Woolf, qui pourtant aimait le confort.

La fille empile plein de motifs les uns sur les autres, ça va être encore plus fort si elle se couche sur la moquette bigarrée du grand hall, ce que les jeunes aristos ne manquent pas de faire à partir d’un certain nombre de bières (eh oui), à ce qu’on raconte.

Elle est fabuleuse en blouse blanche à whatmille euros, hypercrédi­ble dans son manteau immaculé à deux boutons, sage, fait pour quand elle doit bien présenter pour aller taper un peu de pognon à la vieille Devonshire.

Elle sait aussi se foutre en robe ni vu ni connu je t’embrouille, car c’est le don quasi inné (ou hyperacqui­s) des chics anglais que de savoir porter les choses habillées.

Bref, deux noms symbolisen­t à jamais ce voyage : Blenheim, sorte de Versailles du coin. Et Woodstock, nom du bled où se situe le château. Entre le passé et la pop, welcome à un Dior équilibré, joyeux et trempé. L’orgasme, en somme.

 ??  ?? Le Blenheim Palace, sorte de Versailles anglais, où a eu lieu le défilé. LE CHIC DEVIENT ULTIME. LES TALONS SONT PLUS CARRÉS QUE CARRÉS. LES MOTIFS SE SUPERPOSEN­T.
Le Blenheim Palace, sorte de Versailles anglais, où a eu lieu le défilé. LE CHIC DEVIENT ULTIME. LES TALONS SONT PLUS CARRÉS QUE CARRÉS. LES MOTIFS SE SUPERPOSEN­T.
 ??  ??
 ??  ?? Lucie Meier et Serge Ruffieux, les deux créateurs.
Lucie Meier et Serge Ruffieux, les deux créateurs.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France