L'Obs

POURQUOI ELLE ?

Karen Chekerdjia­n

- — par SÉVERINE DE SMET

QUI EST ELLE ?

Voix posée, français impeccable, élégance simple d’une chemise blanche… Karen Chekerdjia­n, 46 ans, dont presque vingt dans le design, est du genre discret, bien loin des figures médiatique­s volubiles et extraverti­es des designers à la mode. Son travail est à son image, sans artifices et e cace. « Je suis toujours à la recherche de sens », explique-t-elle. Plutôt que comme simple création de meubles ou d’objets de décoration, elle envisage le design comme « une plongée anthropolo­gique. Au-delà de la beauté esthétique, cette discipline laisse une trace qui nous définit. Regardez l’histoire de l’architectu­re, souvent liée à la spirituali­té dans la constructi­on des édifices religieux. Ce sont plus que des murs ». Installée depuis 2001 à Beyrouth, invitée à Milan, Miami ou Paris, Karen Chekerdjia­n s’impose comme chef de file d’une création libanaise qui mêle savoir-faire du pays et modernité des lignes.

D’OÙ VIENT ELLE ?

Née au Liban, issue de racines arménienne­s, elle quitte « tout » à 27 ans pour suivre un master en design à la Domus Academy de Milan. Elève de Massimo Morozzi, le fondateur d’Archizoom, studio phare des années 1960, elle trace vaillammen­t son chemin dans la Botte et réussit à être éditée par Edra en 1999. « Cela a lancé ma carrière », assure-t-elle. Mais l’appel de la terre natale se fait plus fort. « J’ai ouvert mon showroom à Beyrouth en 2001, près du port, devenu depuis un quartier arty. A partir de là, ma façon de travailler a changé. » Si ses créations reflètent une certaine âpreté, elle l’explique par ses origines. « J’ai grandi avec des armes, la violence de la guerre, autour de moi. Récemment, nous avions décidé, avec mon mari, de prendre des cours de tir, et j’ai été frappée par l’angoisse et le sentiment de surpuissan­ce… Nous sommes attirés, vicieuseme­nt, par les objets de guerre, de mort, à l’ambiguïté esthétique : ils peuvent être très beaux, très graphiques, et attirent l’oeil. Comme celui des enfants, qui adorent les pistolets et les fusils… »

QUE FAIT ELLE ?

Cette beauté e rayante et attirante à la fois, on la retrouve dans ses tables « Platform », rappelant les vaisseaux de guerre spatiale, ou dans ses lampes « Hiroshima ! », en forme douce de champignon atomique. Quand elle ne part pas de l’environnem­ent, Karen Chekerdjia­n puise dans ses relations « avec les artisans. Il y a des codes particulie­rs avec les Libanais. On boit le café, on discute des heures, on bosse dix minutes, mais tout cela est un partage humain ». Pour eux, « le temps passé n’est pas perdu, contrairem­ent à la conception occidental­e ». A l’origine de sa ligne de bijoux, elle a d’abord rencontré un artisan de Beyrouth puis imaginé la collection à partir d’objets trouvés, comme une boîte de vieux clous, une ancre phénicienn­e ou un chapelet de prière indien. « J’ai souhaité des bijoux lourds, pas forcément pour tous les jours, mais qui se regardent comme de vrais objets. » Spirituell­e, Karen Chekerdjia­n mérite la popularité que l’Institut du Monde arabe a su révéler avec son expo « Respiratio­n ». Et le Liban respire avec elle.

(*) « Respiratio­n », à l’IMA (Paris-5e), du 30 mai au 28 août, www.imarabe.org

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