L'Obs

LE PARCOURS

Le canal de Panama, un siècle de convoitise

- FRANÇOIS REYNAERT

Le 26 juin, près de 70 chefs d’Etat et de gouverneme­nt sont invités à Panama pour fêter l’élargissem­ent du canal, ce qui lui promet une nouvelle vie. Il en a déjà eu bien d’autres... L’idée de se servir de l’étroitesse du petit isthme de Panama pour passer de l’Atlantique au Pacifique sans faire un long détour par le cap Horn ne date pas d’hier. Les premiers projets de percement remontent à Charles Quint. Il faut attendre le XIXe pour que débutent les réalisatio­ns concrètes. On commence par le rail. En 1855, après des travaux que le climat, les marécages, rendent difficiles, est inauguré un chemin de fer interocéan­ique qui raccourcit la voie vers la Californie, où l’on a trouvé de l’or. Dans la foulée, on repense à un canal. Qui est mieux qualifié pour l’entreprise que Ferdinand de Lesseps, qui vient de donner à l’Egypte, et aux banques franco-anglaises, celui de Suez (inauguré en 1869). Le chantier, commencé à la fin des années 1870, s’avère encore plus dantesque que celui du train. La malaria et la fièvre jaune déciment les ouvriers, les tracés prévus s’avèrent irréalisab­les. Au bout de quelques années, le canal n’avance toujours pas, mais le budget, lui, prend l’eau. Lesseps tente de se refaire en lançant une immense souscripti­on publique en France, et il est prêt à tout pour qu’elle fonctionne : une partie des fonds récoltés sert à corrompre journalist­es et députés. C’est le scandale de Panama, la fameuse affaire qui, rebondissa­nt des années 1880 à la fin du siècle, a failli emporter la IIIe République et a raison de Lesseps, condamné par les tribunaux. Au tout début du XXe siècle peut donc entrer en scène le nouveau grand acteur de l’histoire. Comment les Etats-Unis pourraient-ils se désintéres­ser d’un projet d’artère aussi stratégiqu­e pour un continent dont, depuis le président Monroe (1823), ils s’estiment les seuls gardiens ? Le Panama est alors une simple province de Colombie. Pour pouvoir y régner sans partage, l'Oncle Sam et ses services secrets profitent d’une guerre civile à Bogota pour susciter une « révolution » (1903) qui débouchera sur une sécession et la création d’une minuscule république qui leur est toute dévouée. En 1904, les Américains peuvent reprendre le chantier abandonné par les Français et, en 1914, ils inaugurent la fameuse voie d’eau. Pendant un demi-siècle, ils la gèrent sans être trop dérangés par l’Etat à travers lequel elle passe : tous les présidents sont ses clients. Arrivé au pouvoir par coup d’Etat en 1968, Omar Torrijos, dictateur populiste mais patriote, veut changer la donne. Le président Jimmy Carter cherche à mieux traiter ses voisins. Les deux signent un traité, en 1977, qui rend à la république de Panama sa souveraine­té sur le canal. Mais les circonstan­ces vont vite rebattre les cartes. Dans les années 1980, le nouveau patron du petit pays est le fantasque Noriega, qui tire une part de ses revenus des enveloppes versées par la CIA et une autre du trafic de drogue. Les Etats-Unis finissent par le lâcher : en 1989, sous prétexte de protéger des civils américains menacés, le président Bush père fait envahir le Panama par ses parachutis­tes, ce qui lui permet au passage de récupérer le contrôle du fameux canal. Il faut attendre 1999 pour que le dernier US marine quitte la zone et que la République d’Amérique centrale récupère enfin son précieux bien.

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