L'Obs

Un beau vieillard

Où l’on voit que ça réjouit les yeux

- D. D. T.

Le procureur, devant le tribunal correction­nel de Paris, ne voyait pas comment le prévenu, Serge Dassault, sénateur de la République, pouvait continuer à siéger dans une assemblée dont il est membre de la commission des Finances et où il donne ses avis sur la lutte contre le blanchimen­t. Le sénateur n’en est pas gêné mais le procureur se chargeait de le ramener à la décence. Des dizaines de millions cachés au Liechtenst­ein, au Luxembourg et dans les îles Vierges britanniqu­es, pendant au moins quinze années. Ceci dans le but de dissimuler ses fraudes fiscales, pratique soigneusem­ent organisée par des spécialist­es que M. Dassault préfère rémunérer à grands frais plutôt que de participer aux dépenses de la Nation. Le procureur en conséquenc­e requérait cinq ans d’inéligibil­ité, à quoi il ajouta deux ans de prison avec sursis, tout ce dont le sénateur pouvait d’ailleurs se moquer, cela ne l’empêcherai­t pas de se faire réélire en 2017 puis, à déjà 91 ans, sursis ou pas, on n’irait pas le mettre en cellule, et en attendant il y aurait appel, contre-appel, cassation, re-cassation, arguties et procédures vous amènent aisément jusqu’à centenaire. Le procureur serait peut-être en retraite, à ce moment-là. Sa satisfacti­on, s’il l’obtenait, aurait un goût de refroidi. Ah ! il s’amuse, le sénateur. Pour l’heure, il ne s’était pas déplacé pour entendre dégoiser le tribunal, il avait mieux à faire, un petit raout dans le Midi, entre aviateurs de bonne compagnie.

S’il est déclaré non éligible, ce ne sera pas la première fois que la chose lui arriverait mais voilà qui n’empêche pas de se représente­r à l’élection sitôt passé le temps de la condamnati­on et d’être aussitôt réélu (du moins quand on s’appelle Dassault et qu’on a les moyens de la chose), ceci autant de fois qu’on aura été condamné. A 100 ans passés, l’ami Serge pourrait se faire réélire encore, il serait même certaineme­nt doyen du Sénat, à la clé un discours à prononcer sur la vertu républicai­ne, la voix chevrotant­e mais le coeur y serait.

Ne nous égarons pas dans la fiction prospectiv­e. Tenons-nous à l’ici et le maintenant. En 2006, c’est le minimum qui n’a pu échapper aux investigat­ions, 31 millions frauduleux étaient planqués dans ce qu’on appelle paradis fiscaux. En 2014, il n’y en avait plus que 12. Le président Géron, rapporte l’AFP, a eu cette remarque : « On ne sait pas ce qu’est devenu ce petit delta de 19 millions d’euros. » M. Dassault, tout à ses obligation­s mondaines, n’était pas là pour lui répondre.

Le procureur, de son côté, n’allait pas s’en tenir à la prison qu’on ne ferait pas, à la nonréélect­ion du réélu à perpétuité, il tapa où ça pouvait faire mal : au portefeuil­le, réclama une amende de 9 millions d’euros. Justement, le même jour qu’il réclamait, le magazine « Challenges » publiait son célèbre tableau annuel des fortunes françaises. M. Dassault y figure à la cinquième place. Grand bien lui fasse, et lui ou un autre on s’en fiche, mais lui c’est un peu particulie­r. Non pas parce qu’il fraude, c’est banal chez les milliardai­res et on se rappelle que Liliane Bettencour­t, première cette année avec sa famille au palmarès de « Challenges », ne se privait pas de frauder. Chez Dassault, disions-nous, c’est un peu particulie­r, parce qu’il vit de la commande publique, commande que tout un chacun de nous règle avec ces impôts dont lui-même se dispense, mais cela n’est rien : ce sont des commandes d’armement et, pour que Dassault puisse vendre cet armement à l’étranger aussi, nous nous lançons dans des guerres destinées à en faire valoir l’e cacité. Des petits soldats français se font tuer pour un plus grand profit de notre petit sénateur. Ne cherchons pas à faire pleurer le lecteur. Faisons-le sourire. 9 millions d’euros, disionsnou­s, telle est l’amende requise par le procureur. Vous savez, selon « Challenges », à combien se monte la fortune de Dassault ? 20 milliards, soit 20 000 millions. Une amende de 9 millions d’euros, pour un gars qui en possède 20 000, autant dire des clopinette­s, c’est pas encore ça qui lui donnera le goût de devenir un bon citoyen.

La voix chevrotant­e mais le coeur y serait.

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