L'Obs

Coup de frein à la mondialisa­tion

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Pendant des années et des années, des militants altermondi­alistes, des syndicalis­tes, des associatio­ns de citoyens se sont époumonés à protester contre ce qu’ils qualifiaie­nt de mondialisa­tion économique déshumanis­ée. C’était l’époque des grandes manifestat­ions lors des sommets du G7 ou de l’Organisati­on mondiale du Commerce, des contre-sommets de Porto Alegre ou des zapatistes du sous-commandant Marcos. Ils ont été peu entendus. Aujourd’hui, un message plus brutal est adressé aux tenants de la libéralisa­tion à tous crins des échanges, et il est plus difficile à ignorer : ce sont les électeurs qui le lancent dans les principaux pays industrial­isés, une révolte dans les urnes qui paraît plus efficace que des années de manifestat­ions de rue.

Tous les analystes s’accordent désormais à voir, au moins pour partie, dans les votes pour le Brexit au Royaume-Uni, en faveur de Donald Trump aux primaires républicai­nes ou pour des partis populistes ou d’extrême droite en Europe continenta­le, y compris en France, un message antimondia­lisation, dirigé contre les élites. Le journalist­e américain Christophe­r Caldwell citait récemment, dans une tribune publiée par « le Monde », le livre « The Rise and Fall of American Growth » (Princeton University Press) de l’économiste Robert J. Gordon, abondammen­t débattu aux Etats-Unis, et résumait ainsi la situation : « Des fortunes sans précédent ont été bâties sur la cannibalis­ation (au travers des licencieme­nts), la sous-tarificati­on (par l’immigratio­n) et le contournem­ent (par le libre-échange) de l’ancienne économie. Mais cela ressemble à un jeu à somme nulle. Nous sommes aux tout premiers stades d’une insurrecti­on contre ce jeu. Trump est probableme­nt la forme la plus bénigne qu’une telle insurrecti­on pourrait prendre. » La même chose pourrait être écrite à propos des bastions du « Leave » dans les régions défavorisé­es de l’Angleterre, dont le message envoie une onde de choc à Londres et, au-delà, dans le monde entier; et en France du vote Front national et des tentations du repli identitair­e.

Signe que le message est entendu, la sortie remarquée de Manuel Valls, dimanche 26 juin, contre le projet de traité de libre-échange transatlan­tique (Tafta) entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Le Premier ministre a durci le ton contre la négociatio­n de ce texte, qui est entre les mains de la Commission européenne : « Dorénavant, aucun accord de libreéchan­ge ne doit être conclu s’il ne respecte pas les intérêts de l’UE. L’Europe doit être ferme. La France y veillera. Et moi, je vous le dis franchemen­t : il ne peut pas y avoir de traité transatlan­tique. » Au-delà de la posture, il y a assurément l’analyse selon laquelle ces accords et leurs conséquenc­es réelles ou fantasmées sur les normes sociales, sanitaires, environnem­entales, etc. sont l’un des éléments de la révolte électorale en cours.

Le problème est que les partis de gouverneme­nt, de droite comme de gauche, ont été associés à la vague de libre-échange et de libéralisa­tion économique qui a changé le monde depuis trente ans, et en paient aujourd’hui le prix politique auprès des perdants de cette mutation historique. L’irruption de Donald Trump dans le camp républicai­n, outsider bien que milliardai­re, est le signe de ce désaveu. Qu’il gagne ou qu’il perde, l’impact de ce phénomène devrait être un coup de frein à cette phase de la mondialisa­tion et une remise à plat des règles du jeu économique : ceux qui ignoreront ce message le feront à leurs dépens, aux Etats-Unis comme en Europe.

Les analystes s’accordent à voir dans les votes pour le Brexit au RoyaumeUni, en faveur de Donald Trump aux primaires américaine­s ou pour des partis populistes en Europe un message dirigé contre les élites.

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