L'Obs

Le silence coupable de l’Allemagne

- PRUNE ANTOINE (À BERLIN)

Après la sortie du film de Florian Gallenberg­er « Colonia » (en salles le 20 juillet en France), le ministre des A aires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, a reconnu le rôle peu reluisant joué par l’Allemagne dans l’a aire de la secte de Paul Schaefer : « Des années 1960 aux années 1980, des diplomates allemands ont fermé les yeux et n’ont pas fait assez pour protéger les gens dans cette colonie », a-t-il déclaré, autorisant l’accès des archives jusqu’en 1996 aux médias et aux chercheurs.

Selon Jan Stehle, un expert du Centre de Documentat­ion ChiliAllem­agne, « l’Allemagne a su dès les premières années ce qui se passait à Colonia et laissé ces crimes se poursuivre durant quatre décennies ».

Lorsqu’il arrive au Chili, en 1961, Paul Schaefer est déjà poursuivi pour pédophilie par les autorités allemandes. Il y noue des liens étroits avec la très influente communauté allemande, nazis en fuite ou riches propriétai­res terriens, nostalgiqu­es de l’empire du Kaiser. En pleine guerre froide, la perspectiv­e de voir arriver au pouvoir au Chili Salvador Allende, un président socialiste soutenu par Moscou (et l’ex-RDA), est jugée inconcevab­le à l’Ouest. Les Etats-Unis soutiennen­t l’entourage du général Pinochet, une ligne sur laquelle la RFA s’aligne. « En se mettant très tôt au service de la Dina, la Colonia joue un rôle majeur dans la préparatio­n du putsch de 1973 », souligne Stehle.

Sous la dictature, la colonie prospère. Un système d’alliances se tisse afin de préserver la relation privilégié­e entre le Chili et une RFA qui, en coulisses, est l’un des grands fournisseu­rs d’armes du régime. Alors que les accusation­s de torture vont bon train, les visites o cielles de députés CSU (parti conservate­ur de la Bavière) se succèdent. L’un d’eux déclare émerveillé qu’il y a vu « la propreté, l’ordre. Et beaucoup d’amour ».

L’ambassade allemande à Santiago protège Schaefer. Le diplomate en poste à l’époque, Erich Strätling, enterre un rapport interne réclamant une enquête. Les rares fugitifs sont renvoyés dans le camp. Face aux médias et aux rumeurs, Gerhard Mertins, un ex-SS devenu marchand d’armes, lance un cercle de soutien des amis de Colonia.

Il est encore plus di cile de comprendre pourquoi la RFA ne réagit pas en 1977, à la sortie du rapport d’Amnesty Internatio­nal. Comme si les enjeux de la lutte anticommun­iste avaient définitive­ment éclipsé les droits de l’homme. La récente visite au Chili, en juillet, du président Joachim Gauck devrait permettre d’enclencher un « travail mémoriel » entre les deux pays. Mais, de « réparation », ni l’Etat allemand ni l’Etat chilien ne veulent entendre parler.

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