L'Obs

Le jardin des délices

ÉPHÉMÈRE, VÉNALE ET LÉGÈRE, PAR MARIE L. BARRET, PLEIN JOUR, 174 P., 17 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

A l’en croire, elle habite, au bout d’un chemin de terre, une jolie maison, entourée d’un jardin où coule une fontaine et d’un potager généreux, dans une petite commune du Var. Elle aime écrire, tailler ses rosiers, relire les poèmes de Superviell­e, les romans de Le Clézio, le « Cimetière marin » de Valéry, la prose de Julien Gracq, voir les tableaux de Lucian Freud, écouter en boucle les oeuvres vocales de Monteverdi, Bach, Lully, mais aussi de Bashung et de Manu Chao. Elle a 50 ans, un corps « élancé et joli » et une devise, empruntée à Roland Barthes : « Ce que cache mon langage, mon corps le dit. » Et son corps le dit quatre jours par semaine, aux heures où ses enfants sont à l’école. Car Marie L. Barret (un pseudonyme) est à la fois mère de famille et « sexo-relaxologu­e », femme au foyer et « prostituée à la campagne ». A ses clients, qu’elle appelle « mes habitués », « mes hommes » ou « mes passants », et dont elle dit : « Je vais vieillir avec eux, nous fermerons le théâtre ensemble », elle réserve une pièce sombre tendue de rouge aux rideaux fermés, où brillent des lampes de sel. Ils sont jeunes ou âgés, riches ou pauvres, heureux ou malheureux, en bonne ou en mauvaise santé, propres ou sales, timides ou crâneurs. Ils viennent le plus souvent la visiter avec, à la main, un bouquet de fleurs, un panier d’aubergines, une bouteille de vin ou une boîte de fruits confits. Avec de l’argent aussi : 70 euros pour un massage, 130 pour « la totale ». Une « totale » dont, seule à la tête d’un « petit commerce discret et tranquille », elle livre ici les secrets les plus intimes, décrit les rituels, expose les instrument­s et surtout portraitur­e les bénéficiai­res comme si c’étaient des personnage­s de romans.

Après les témoignage­s de Jeanne Cordelier (« la Dérobade ») ou de Grisélidis Réal (« Carnet de bal d’une courtisane »), celui de Marie L. Barret frappe par la qualité sensible de son écriture (y compris dans les passages les plus crus), l’absence de toute morale et surtout son empathie – voire sa compassion – pour les hommes qui la désirent, la rêvent, et dont, après leur mort, il lui arrive d’aller fleurir la tombe. Si elle regrette ici de devoir mentir à sa mère, à son compagnon, à ses enfants, parfois aussi à ses clients, elle ne triche ni avec ses lecteurs ni avec elle-même. Pas sûr que les détracteur­s de la prostituti­on se satisfasse­nt de cette version champêtre et finalement bon enfant d’une activité dont les clients sont désormais, grâce au gouverneme­nt Valls, mis à l’amende. Même si, avant de raconter ses chevauchée­s et autres galipettes, Marie L. Barret ne craint pas de se réclamer du grand socialiste Jean Jaurès : « Le courage dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, c’est de choisir un métier et de bien le faire. »

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Marie L. Barret en août 2015 à Paris.

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