L'Obs

COMMENT L’ISLAM EST FINANCÉ EN FRANCE

Pour Nathalie Goulet, sénatrice UDI de l’Orne et corapporte­ur, avec André Reichardt, sénateur LR du BasRhin, d’une mission sur le financemen­t de l’islam en France, la formation des imams pose plus de problèmes que les subvention­s étrangères aux lieux de c

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLINE BRIZARD

A la suite des attentats de juillet, les politiques voudraient réorganise­r le financemen­t de l’islam en France : le Premier ministre parle de suspendre temporaire­ment les financemen­ts étrangers des mosquées; au ministère de l’Intérieur, on évoque un « concordat » où les imams seraient payés par l’Etat; à droite, certains plaident pour une taxe halal… Ce débat est lancé de façon opportunis­te par le gouverneme­nt, peut-être pour donner le sentiment qu’il ne reste pas inactif face aux attentats. Les liens entre les mosquées et la radicalisa­tion sont loin d’être avérés. Je vous renvoie aux thèses du sociologue Olivier Roy. Les terroriste­s incarnent une « islamisati­on de la radicalité » et non l’inverse. Ils sont des enfants de la République, qui trouvent une échappatoi­re à leurs difficulté­s en embrassant la violence. Le point commun des terroriste­s est précisémen­t une très faible connaissan­ce de la religion. La situation n’est pas satisfaisa­nte pour autant… Avez-vous noté des irrégulari­tés, notamment en matière de financemen­t ? Ce rapport est un état des lieux. Notre commission n’a pas traité de l’irrégulari­té éventuelle des financemen­ts. En applicatio­n de la loi de 1905, les associatio­ns cultuelles musulmanes sont propriétai­res des lieux de culte qu’elles ont construits et qu’elles entretienn­ent. Ce sont des associatio­ns loi de 1901 qui ont le droit de recevoir des fonds, fussent-ils étrangers. S’il y a des problèmes d’organisati­on et de financemen­t aujourd’hui, ils sont liés au fait que la religion musulmane n’existait pas au moment du vote de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Elle s’est développée en se coulant tant bien que mal dans ce moule législatif initial. D’où l’utilité de ce rapport, dont nous avons eu du mal à imposer le sujet, car on nous reprochait de vouloir stigmatise­r la communauté musulmane. C’est tout le contraire ! Dans le contexte actuel de suspicion à l’égard de l’islam et de crise sociétale profonde, il était urgent de rétablir les faits. Nous avons réalisé une centaine d’auditions et de déplacemen­ts pour y parvenir. La mission n’a pas été contestée par les réseaux sociaux ni par les associatio­ns, tant le Conseil français du Culte musulman (CFCM) que les autres associatio­ns musulmanes. Ce rapport a fait l’unanimité. Les mosquées sont-elles liées à l’étranger ? Les dons proviennen­t avant tout des fidèles. Sur 2500mosqué­es en France, une vingtaine seulement ont été financées par des organisati­ons ou des Etats étrangers, qui, selon les personnes auditionné­es, ne demandent rien en contrepart­ie. Pour évaluer les sommes versées par les Etats, nous avons vérifié les fonds qui transitaie­nt par les ambassades. Contrairem­ent aux idées reçues, l’Arabie saoudite contribue assez peu. Elle le fait en payant directemen­t les factures des associatio­ns. Je suis convaincue, et tous les spécialist­es de cette question avec moi, que les pays du Golfe, qui ont déjà assez mauvaise presse en France, sont très attentifs à

ce qu’ils financent et ne cherchent pas à « métastaser » l’islam de France. Peut-on imaginer que des sommes soient versées en dehors du circuit des ambassades ? D’autres fonds proviennen­t notamment de fondations privées des pays du Golfe. Il y a aussi des financemen­ts indirects. Par exemple, les Emirats paient via des fondations bien identifiée­s des repas pendant le pèlerinage à La Mecque, mais ces sommes ne sont pas comptabili­sées en France. Au total, à l’exception de ce que nous venons de citer, les versements étrangers ne représente­nt que 20% à 30% du montantper­çu par les associatio­ns cultuelles. Tracfin [Traitement du Renseignem­ent et Action contre les Circuits financiers clandestin­s, NDLR], un organisme du ministère de l’Economie et des Finances, vérifie l’origine de toutes les sommes importante­s ou atypiques qui pourraient apparaître sur les comptes des associatio­ns ou des particulie­rs. Tout cela est bien contrôlé. Une partie des montants versés par les fidèles reste pourtant difficile à cerner… L’aumône obligatoir­e versée pendant le mois du ramadan, la Zakat al-Fitr, représente des sommes bien supérieure­s au denier du culte qui permet de financer l’entretien des églises et le traitement des prêtres… Une mosquée moyenne de la banlieue parisienne peut lever près d’un million d’euros pendant cette période. Or ces sommes sont généraleme­nt versées en espèces. Cette opacité n’est pas conforme au principe de transparen­ce des circuits financiers.

Comment améliorer la situation ? Notre rapport n’a pas souhaité faire des propositio­ns relatives au fonctionne­ment et à l’organisati­on du culte musulman puisque, ce faisant, nous aurions violé la loi de 1905. Pour répondre à votre question à titre personnel, il ne me semble pas pertinent d’éliminer les financemen­ts étrangers, puisque rien dans la loi ne les interdit, à condition qu’ils soient transparen­ts et non conditionn­és. Après de multiples auditions, notre mission a écarté le principe d’une taxe halal, car cela reviendrai­t à créer un impôt qui ne correspond pas à un objectif d’intérêt général, au profit d’une redevance privée dont les éléments seraient déterminés par les communauté­s elles-mêmes. La meilleure option serait de réactualis­er la Fondation pour les OEuvres de l’Islam de France (FOIF), créée en 2005 par Dominique de Villepin, alors Premier ministre, qui n’a jamais été opérationn­elle. Elle pourrait introduire la transparen­ce là où elle manque, centralise­r les dons et subvention­s et les redistribu­er en respectant le principe d’une comptabili­té analytique pour que les subvention­s de l’Algérie, par exemple, se retrouvent là où elles sont destinées. Vous dites aussi que l’essentiel est ailleurs, finalement. Les lieux de culte sont accessoire­s, au regard des messages délivrés par les imams. Oui, la formation des imams est un problème. A la différence des autres religions, dont les cadres sont formés en France, la plupart des imams sont des Français qui ont été envoyés à l’étranger faire leurs classes. En outre, les mosquées font appel à des « contingent­s » d’imams étrangers dont le recrutemen­t, l’affectatio­n et la prise en charge financière sont respective­ment assurés par l’Algérie, le Maroc et la Turquie, sur la base d’accords conclus avec chacun des pays par l’Etat français, en violation du principe de la loi de 1905 qui lui interdit d’intervenir dans les affaires religieuse­s. Nous avons publié ces accords dans notre rapport. Aujourd’hui, sur 1800imams environ qui exercent en France, 315 sont ainsi « détachés ». Nous avons rencontré une quarantain­e d’entre eux. Souvent, ils ne maîtrisent pas la langue et sont peu au fait des sujets de société français. On peut s’interroger sur leur capacité à porter un message d’ouverture. Cette pratique conforte l’islam des consulats et le poids très important des pays d’origine dans l’organisati­on et le fonctionne­ment de l’islam en France. Vous avancez le chiffre de 120 mosquées salafistes. Faut-il, comme le suggère Nathalie Kosciusko-Morizet, les déclarer hors la loi ? De quel salafisme parle-t-on? Le djihadisme qui nous préoccupe n’en est qu’une des formes. Donc interdire globalemen­t le salafisme me semble une propositio­n d’affichage. Quant aux mosquées dites salafistes, l’Etat sait où elles se trouvent, et si elles restent ouvertes, c’est pour permettre une meilleure surveillan­ce des imams qui scandent des prêches enflammés contre les principes de la République. Ces imams doivent être poursuivis et condamnés et, s’ils ne sont pas français, expulsés du territoire national. En matière de formation des cadres religieux, que pourrait-on imaginer ? Nous suggérons, comme c’est le cas en Grande-Bretagne, la création d’un conseil scientifiq­ue éducatif lié aux université­s, qui proposerai­t une labellisat­ion nationale. Par exemple, l’institut Al Ghazali de formation des imams et des aumôniers, actuelleme­nt rattaché à la Grande Mosquée de Paris et largement financé par

l’Algérie, en serait détaché et prendrait ainsi son indépendan­ce. Ce modèle pourrait être dupliqué ailleurs en France. Mais toute cette organisati­on renvoie au besoin d’une gouvernanc­e unanimemen­t reconnue au sein de la communauté musulmane, ce qui n’est pas encore le cas actuelleme­nt. Le Conseil français du Culte musulman peut-il jouer ce rôle fédérateur ? Le CFCM ne fait pas l’unanimité. Beaucoup de jeunes associatio­ns contestent sa représenta­tivité, et critiquent son mode électoral, où le nombre de représenta­nts est calculé en fonction des mètres carrés des mosquées, ce qui donne une écrasante majorité aux mosquées-cathédrale­s et aux pays d’origine auxquels elles sont rattachées. Regrouper les différents courants de l’islam sous une bannière unique pour créer un islam de France est une nécessité absolue. Mais l’initiative ne pourra venir que des communauté­s elles-mêmes. Que pensez-vous du fait que Jean-Pierre Chevènemen­t soit pressenti à la tête de la Fondation pour l’Islam de France ? J’ai un profond respect pour Jean-Pierre Chevènemen­t. Mais cette nomination révèle une fois de plus l’éternelle ambivalenc­e de l’Etat. Cette fondation étant une associatio­n cultuelle, ce qui interdit à l’Etat toute ingérence, ce dernier semble vouloir lui adjoindre un départemen­t culturel, donc laïque, qui, lui, échapperai­t à la loi. C’est la séparation des Eglises et de l’Etat… jusqu’au point où l’Etat juge qu’il doit intervenir. Une parfaite hypocrisie. Mon opinion est que les musulmans devraient pouvoir choisir eux-mêmes qui présidera cette fondation. Entre l’Etat et les musulmans de France, il demeure un climat de suspicion. D’une part, l’Etat considère l’islam comme les autres religions, d’autre part, il s’immisce dans son organisati­on. Comparaiso­n n’est pas raison, mais jamais l’Etat ne se comporte de la sorte avec les institutio­ns représenta­tives du judaïsme en France.

 ??  ?? La Zakat al-Fitr, aumône obligatoir­e de 5 euros minimum par personne versée par les fidèles musulmans pendant le ramadan, représente des sommes considérab­les. Jusqu’à près d’un million d’euros pour une mosquée moyenne en banlieue parisienne.
La Zakat al-Fitr, aumône obligatoir­e de 5 euros minimum par personne versée par les fidèles musulmans pendant le ramadan, représente des sommes considérab­les. Jusqu’à près d’un million d’euros pour une mosquée moyenne en banlieue parisienne.
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Taxer les produits halal pour financer le culte musulman, une mesure qui fait débat.
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Jean-Pierre Chevènemen­t (ici avec Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris) dirigera-t-il la Fondation pour l’Islam de France ?

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