L'Obs

MONDOVISIO­N

par Pierre Haski

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Début août, Barack Obama est apparu fatigué lors d’une rencontre avec la presse au Pentagone, à Washington, après avoir participé à une réunion consacrée à la menace de l’organisati­on Etat islamique. « Je pense que mes

cheveux blancs sont dus à la Syrie », a-t-il dit sur un ton désabusé qui montrait un commander in chief, comme les présidents américains aiment à se décrire, en fin de course. Barack Obama est en panne de stratégie en Syrie, ce qui ne serait pas grave si la guerre dans ce pays n’avait autant de conséquenc­es tragiques, d’abord pour le peuple syrien martyrisé, et ensuite pour le reste du monde. Réfugiés, terrorisme, déstabilis­ation… le prix de l’inaction depuis cinq ans est devenu très élevé, ce qui ne facilite pas la prise de décision.

Le président des EtatsUnis réfléchiss­ait à haute voix, ce jour-là, sur un plan de coordinati­on militaire avec la Russie en Syrie, qui ne fait pas l’unanimité au sein de sa propre administra­tion, tout en disant qu’il ne pouvait pas faire totalement co1 nfiance à Vladimir Poutine… Mais, au moment même où il s’exprimait, une bataille décisive se déroulait sur le terrain, loin, très loin des tergiversa­tions du chef de l’exécutif américain.

Les combats se déroulaien­t autour de la ville clé d’Alep, dont la partie tenue par les rebelles était encerclée depuis un mois par l’armée du régime de Bachar al-Assad, soutenue par la Russie, l’Iran et le Hezbollah libanais. Et, contre toute attente, une contreo ensive rebelle est parvenue à rompre cet encercleme­nt et à ouvrir un couloir permettant l’approvisio­nnement de quelque 275 000 civils privés de tout.

Ce coup de théâtre militaire pose un double défi à Obama : d’abord avec la Russie, car l’encercleme­nt d’Alep contredisa­it les engagement­s de cessez-le-feu pris par Moscou. Au lendemain du succès rebelle, l’aviation russe a e ectué un bombardeme­nt violent de la ville d’Idlib, non loin d’Alep, avec, selon les rebelles qui tiennent cette localité stratégiqu­e, des bombes incendiair­es, certains disent au phosphore, qui ont provoqué des incendies visibles de loin. Mauvais augure pour la prochaine rencontre Kerry-Lavrov, les deux chefs de la diplomatie, qui devaient définir des objectifs communs.

Mais la bataille d’Alep marque aussi l’ascendant pris sur la nébuleuse rebelle par le groupe Fatah al-Cham, plus connu sous son ancien nom, Jabhat al-Nosra, jusqu’à récemment la branche syrienne d’AlQaida. Al-Nosra a rompu ses liens avec la « centrale » djihadiste et a changé de nom, mais pas nécessaire­ment d’idéologie. Or, à Alep, nécessité faisant loi, tous les groupes rebelles – à l’exception de Daech, peu présent dans la ville – se sont alliés pour briser l’encercleme­nt, y compris ceux a liés à l’Armée syrienne libre soutenue par Washington et Paris. De quoi compliquer un peu plus les alliances dans cette guerre où les ennemis de mes ennemis ne sont pas nécessaire­ment mes amis… Barack Obama a eu la volonté, depuis son arrivée à la Maison-Blanche, de résister à la tentation interventi­onniste qui a provoqué les guerres dont il a hérité en Afghanista­n et en Irak. Mais ses hésitation­s en Syrie ont eu des conséquenc­es désastreus­es. A l’approche de l’élection de son successeur, des voix se font entendre pour un durcisseme­nt américain, comme celle de Dennis Ross, ancien conseiller de Hillary Clinton au Départemen­t d’Etat, qui a préconisé, dans le « New York Times », de bombarder l’armée d’Assad pour amener Damas – et Moscou – à négocier. Si Hillary Clinton est élue, la Syrie sera assurément son dossier prioritair­e, pour le meilleur ou pour le pire.

Le président américain a eu la volonté, depuis son arrivée à la Maison-Blanche, de résister à la tentation interventi­onniste, mais ses hésitation­s en Syrie ont eu des conséquenc­es désastreus­es.

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