L'Obs

TRANSPORT AÉRIEN

Le low cost étend son vol

- CLAUDE SOULA

Comme souvent dans le milieu du transport aérien, tout a commencé par une grève. Pendant quatre jours, mi-avril, elle a perturbé Air Caraïbes. Le bras de fer opposait les syndicats et Jean-Paul Dubreuil, le fondateur de cette compagnie familiale réputée à la fois pour ses succès commerciau­x et pour son dialogue social. Pourtant, cette fois-ci, la nouvelle idée du patron est mal passée : le lancement en septembre de French Blue, la première low cost française uniquement long-courrier, ne plaisait pas à son personnel. Il craignait d’être la première victime d’une innovation qui a tout pour séduire les voyageurs.

Le low cost, ce n’est pas nouveau, bien sûr : Ryanair vole depuis maintenant trente ans, et son concurrent, Easyjet, depuis vingt ans. Ces compagnies ont imposé en Europe un modèle aux coûts allégés : leurs avions – tous les mêmes pour réduire les dépenses de formation et de maintenanc­e – volent à des cadences accélérées, avec des escales

hyper-courtes et des services réduits au minimum. Elles utilisent toutes les ficelles sociales possibles pour diminuer leurs charges de personnel et ont imposé de nouvelles habitudes à leurs clients : réservatio­n obligatoir­e par internet, décollage d’aéroports éloignés des centres-villes, pas de boissons ou de repas gratuits en vol, bagages payants en soute… Leur succès commercial a déstabilis­é toutes les grandes compagnies historique­s et suscité la naissance d’une myriade de challenger­s : Vueling (IAG), Transavia (Air France), Germanwing­s (Lufthansa), ou encore les indépendan­tes Wizz et Volotea. Elles ont déjà avalé 40% du trafic européen. Combat gagné sur les vols de moins de quatre heures !

Cette révolution économique entre dans sa deuxième phase : les trajets aériens qui durent plus de six heures. Au départ, les experts du secteur n’y croyaient pas, pour une raison technique : les avions ne peuvent pas être utilisés avec la même souplesse sur Paris-Tokyo que sur Paris-Barcelone. Les appareils de Ryanair enchaînent les escales et ne s’arrêtent que quelques heures la nuit, tandis que les long-courriers peuvent rester coincés toute une journée sur le tarmac de leur aéroport d’arrivée, pour attendre l’heure du retour. Cette immobilisa­tion anéantit toute possibilit­é de les rentabilis­er au maximum.

Pourtant, des pionniers ont commencé à voler loin et « pas cher » avec succès. AirAsia X et Scoot desservent l’Asie. Deux européens relient le Vieux Continent aux Etats-Unis avec des tarifs alléchants : depuis Paris, Wow promet pour novembre un aller simple à 129 euros pour New York – via l’Islande – tandis que Norwegian vole vers Los Angeles pour 199 euros. La compagnie norvégienn­e rêve d’étendre son réseau, d’une part sur les EtatsUnis – mais les autorités américaine­s bloquent car la société utilise sur certains vols du personnel asiatique avec des salaires à bas coût –, d’autre part sur les rémunératr­ices liaisons Paris-Antilles. Elle relie déjà la Guadeloupe et la Martinique à trois villes américaine­s et compte bien renforcer sa base locale.

Devant cette menace, le groupe Dubreuil (1,6 milliard de chi re d’a aires, dont 35% dans l’aérien) a préféré prendre les devants pour défendre les 32% de parts de marché de sa filiale Air Caraïbes. « Si on n’anticipe pas, que se passera-t-il ? C’est Norwegian qui prendra notre place ! » prévient un Jean-Paul Dubreuil tout feu tout flamme. A 73 ans, cet amoureux des airs – il a passé son brevet de pilote à 17 ans, puis il a créé plusieurs compagnies, comme Régional Airlines en 1991 et Air Caraïbes en 2000 – sait que ce sera son dernier grand combat avant la retraite. Cela n’empêche pas les doutes. « Le modèle du low cost en long-courrier n’est pas évident. On se pose encore des questions sur le sujet. Mais, quand je travaillai­s chez Air Inter, nous avions eu les mêmes doutes sur les premières low cost, et, finalement, elles ont eu un succès fabuleux et ont mis Air France en di culté. Alors peuton se permettre de rater ce nouveau mouvement sur le long-courrier ? » s’interroge son bras droit, Marc Rochet, président du directoire d’Air Caraïbes et président de French Blue.

Mais inventer une compagnie low cost, cela impose de réduire les coûts, et donc de dégrader les conditions de travail car il est impossible de jouer sur le prix du pétrole ou sur les taxes. C’est ce qui avait déclenché une grève préventive en avril. « Le groupe Dubreuil veut être le premier à se lancer sur le créneau. Nous, les syndicats

d’Air Caraïbes, on sait comprendre la logique économique des choses, mais on a exigé une concession majeure : French Blue ne doit pas desservir les mêmes destinatio­ns qu’Air Caraïbes pour ne pas mettre nos emplois en danger », explique Emmanuel Skowron, le délégué du syndicat des pilotes Unac, largement majoritair­e dans l’entreprise. Pour les rassurer, le groupe Dubreuil a accepté un compromis. « Les Antilles et la Guyane resteront le territoire exclusif d’Air Caraïbes, qui conservera le même régime qu’aujourd’hui. French Blue se développer­a uniquement vers l’océan Indien. Nous ouvrirons la Réunion dès le mois de juin 2017. Nous étudierons ensuite Maurice, les Seychelles et Madagascar », promet Jean-Paul Dubreuil. Dans la foulée, il a

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