L'Obs

Mon sexe et moi

Quels rapports les femmes entretienn­entelles avec la partie la plus intime de leur anatomie? Et comment en parlent-elles?

- NATHALIE BENSAHEL ET JULIETTE JABKHIRO

Elle déteste ce mot, « vagin ». « Je ne peux pas le prononcer, dit Sophie. C’est trop médical, pas sexy. » On lui demande si elle préfère qu’on dise « chatte » ou « foune » ou peut-être « schneck ». Elle pou e de rire et se cache la tête entre les mains. « En vérité, je n’en parle pas et je ne nomme jamais cette partie de mon corps. Quand c’est vraiment indispensa­ble, chez mon gynéco par exemple, je dis “sexe”. » Cette célibatair­e de 27ans a rme que ce n’est pas la pudeur qui la retient. Elle travaille dans une maison de disques « où on parle de cul tout le temps, et c’est plutôt drôle ». Elle ajoute qu’elle n’éprouve « aucune honte » par rapport à cette partie de son anatomie. Simplement, elle trouve que le lexique autour du vagin n’est pas érotique. « Je suis une pro de la masturbati­on, dit-elle. Je connais l’intérieur de mon corps dans ses moindres détails. Mais, quand je fais l’amour, je préfère attraper un homme en lui disant “viens” plutôt que “viens dans mon vagin”, c’est plus poétique, non? » Comment les femmes considèren­telles leur sexe ? Si sa représenta­tion reste largement taboue, en parlent-elles librement? Anne, étudiante en journalism­e de 24ans, revendique qu’on mette des mots sur « la chose ». Pour elle, le rapport des femmes à leur vagin est moins une a aire de poésie et de mystère triangulai­re que d’éducation. Or d’éducation sexuelle, elle en a manqué, et elle en a sou ert : « Longtemps, mon vagin n’a pas existé, je n’arrivais pas à me le représente­r. C’était comme si c’était juste un trou. Du coup, j’ai commencé ma vie sexuelle avec un vaginisme, parce que j’avais peur de la pénétratio­n. On ne nous explique pas que toutes les filles n’ont pas la même anatomie, qu’il y en a des plus étroites que d’autres. Alors, moi, au début, quand ça ne rentrait pas, je me disais que je n’étais pas normale, et ça m’a encore plus bloquée. » Il a fallu du temps à Anne pour apprivoise­r cette partie intime d’elle-même, et l’accepter comme elle est. Charlotte, 23 ans, jeune polytechni­cienne, reconnaît, presque avec surprise, que son sexe est un tabou. « Je n’ai jamais regardé à quoi il ressemblai­t vraiment, dit la jolie métisse qui prépare une thèse d’Etat en chimie. Je n’étais même pas sûre au début de savoir où était mon clitoris. Personne ne me l’a jamais expliqué, j’ai trouvé toute seule. » Une découverte qui rime avec conquête, une étape sur le chemin de l’émancipati­on. « J’ai compris que j’avais un clitoris à 20ans, explique Isabelle, pédiatre de 44 ans, et depuis j’envisage mon sexe

exactement comme les hommes le font avec leur pénis, c’està-dire comme un organe génital qui a sa vie propre et ses besoins, pas un truc dont on ne parle pas parce qu’il ne se voit pas. » Elle ne se souvient pas des cours d’éducation sexuelle à l’école mais se rappelle que c’est en couchant avec des garçons au lycée qu’elle a compris que son sexe était « au moins aussi important que le leur : ça a été une révélation existentie­lle de comprendre que toutes les parties de mon vagin, les lèvres, la vulve, le clitoris formaient un instrument de plaisir aussi puissant ». Du coup, Isabelle soigne « sa présentati­on » : elle alterne les genres d’épilation – de l’échancré simple au ticket de métro et jusqu’à l’intégrale, « qui donne des sensations voluptueus­es » –, se masse le pubis avec des huiles parfumées et aime aussi « customiser » sa « toison » avec des teintures colorées. « Roux comme un renard ou blond peroxydé, c’est drôle. » Comme Isabelle, Nora, jeune bobo du Marais, s’est approprié son vagin. Elle dit même qu’elle « l’aime ». La jeune femme a vite compris le plaisir qu’il pouvait lui procurer. Mais elle avait honte de cette ivresse solitaire. « La première fois que j’ai évoqué la masturbati­on, j’avais 16ans, alors que je l’ai expériment­ée bien avant. Je sentais que le vagin, c’était un truc dont on ne pouvait pas parler. » Aujourd’hui, il y a encore des sujets que Nora n’ose pas aborder. Surtout avec ses partenaire­s. « Je n’ai jamais envisagé mon sexe comme un objet de désir. Alors je n’ai jamais demandé à un partenaire s’il aimait mon vagin, s’il était mieux que celui d’une autre. Les mecs comparent bien leur pénis, on pourrait comparer nos sexes. »

A 49ans, Frédérique, chirurgien­ne plastique, mère de deux enfants, se souvient de ce premier accoucheme­nt où elle a tout compris de son vagin. Jusque-là, c’était une abstractio­n. « Il m’a fallu accoucher sans péridurale, c’est-à-dire dans la douleur, pour me dire que mon vagin était précieux et qu’il fallait que j’en prenne soin. J’ai un souvenir très précis de cette sensation folle où mon bébé a glissé d’entre mes jambes et où je me suis dit pour la première fois de ma vie que mon vagin était extrêmemen­t puissant. Qu’il était à la fois un outil et un objet de désir, mais aussi un muscle savant. Je trouve ça plutôt érotique. » Mais il y a aussi celles qui disent n’y penser jamais ou si peu. « Dans la vie quotidienn­e, en dehors des règles ou des rapports sexuels, mon vagin n’est pas très “présent”, dit Louise, 24 ans, jolie petite femme blonde qui fait des voix de doublage de dessins animés. Il s’est vraiment “concrétisé”, et m’a stressée, quand, lors d’un rapport sexuel, il y a eu un gros bruit de succion, c’était supergênan­t. Mais quand on en parle entre copines, on se rend compte que ça arrive à tout le monde, donc ce n’est pas grave. » Charlotte aussi ne se préoccupe de son vagin que lorsqu’elle a des relations sexuelles et qu’elle doit s’épiler : « Quand j’étais avec mon premier mec, un jour, j’ai tout rasé. Il a détesté. Il m’a dit que ça lui donnait l’impression d’être un pédophile et il n’a pas voulu coucher avec moi ! Depuis, je me demande toujours comment m’épiler selon les garçons. Si je n’ai pas de vie sexuelle, je laisse en friche. »

Julie a connu l’expérience inverse. Cette esthéticie­nne de 23 ans ne se serait jamais fait épiler intégralem­ent si son copain ne le lui avait pas demandé : « Je l’ai fait pour lui faire plaisir. Pour moi, l’intégrale, c’était un truc d’actrices pornos. J’ai l’impression que plus on est jeune, plus on se réfère au porno. Après, en vieillissa­nt, les mecs s’habituent aux poils, et l’intégrale peut même être repoussant­e. Mais quand on y pense, c’est fou qu’ils aient leur mot à dire sur notre épilation. » Ce n’est pas Clotilde, mathématic­ienne de 36 ans, qui dira le contraire. « Ce pseudo discours féministe sur la maîtrise de son vagin masque en fait la volonté de se conformer encore et toujours au désir masculin », s’agace-t-elle. Coachée par une mère « très féministe », elle a appris dès ses 16ans à observer son sexe dans un miroir, et même à guetter les signes de son ovulation mensuelle. « Mes copines trouvaient ça dégoûtant. Aujourd’hui, je pense, au contraire, que c’était une entrée en matière à la sexualité assez subtile, très décomplexa­nte. J’ai su très tôt ce qu’était un clitoris et je ne m’en lasse pas. L’autoérotis­ation, voilà la vraie conquête des filles! Le reste, tout le barnum autour de la mise en scène du vagin, me semble être le contraire de l’émancipati­on. » « Vagina guerilla » ou pas, le débat est ouvert.

“LONGTEMPS, MON VAGIN N’A PAS EXISTÉ, JE N’ARRIVAIS PAS À ME LE REPRÉSENTE­R. C’ÉTAIT COMME SI C’ÉTAIT JUSTE UN TROU.” Anne, 24 ans. “J’AI SU TRÈS TÔT CE QU’ÉTAIT UN CLITORIS ET JE NE M’EN LASSE PAS. L’AUTOÉROTIS­ATION, VOILÀ LA VRAIE CONQUÊTE DES FILLES !” Clothilde, 36 ans. “ÇA A ÉTÉ UNE RÉVÉLATION EXISTENTIE­LLE DE COMPRENDRE QUE TOUTES LES PARTIES DE MON VAGIN FORMAIENT UN INSTRUMENT DE PLAISIR AUSSI PUISSANT.” Isabelle, 44 ans.

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Une des « Rorschatte­s » de Cassie Raptor, inspirées du test psychologi­que de Rorschach.

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