L'Obs

HUMEUR

- PAR JÉRÔME GARCIN J. G.

C’est aussi parce que ce film avait tout contre lui qu’il a soulevé, à Cannes, un tel enthousias­me (sauf chez les jurés et une poignée de critiques). On redoutait la choucroute royale, et ce fut une corbeille de sorbets aux fruits frais. « Toni Erdmann », de Maren Ade, cumulait en e et les mauvais présages : c’est un film allemand, long de 2h42, tourné principale­ment en Roumanie, avec des acteurs peu connus et, sur le papier, un sujet aussi rebattu que pesant : la dénonciati­on du libéralism­e ravageur et de ses cadres inhumains. Parmi lesquels Inès, executive woman germanique, célibatair­e et revêche, envoyée à Bucarest avec la mission d’appliquer, sans états d’âme, plans d’externalis­ation et licencieme­nts secs. On ne compte plus les cinéastes qui, dans des films sinistres, ont décrit les ravages sociaux de l’Europe capitalist­e. Or, Maren Ade, 39 ans, est l’une des rares à avoir compris que, pour ajouter à la charge et mieux ridiculise­r la mondialisa­tion de la performanc­e, il fallait oser, sur grand écran, la clownerie, le Grand-Guignol, le mauvais goût et même la naked party. Qu’il ne fallait pas craindre de sortir du placard le colis piégé, les menottes de shérif, le coussin péteur, le faux dentier, la perruque déstructur­ée, le déguisemen­t d’ours et la soupe à la grimace. « Toni Erdmann » n’a donc pas usurpé son succès : il fait rire, d’un rire libérateur et salvateur. En prime, la touchante histoire d’un père extraverti et de sa fille introverti­e qui ne savent se dire ni l’un ni l’autre combien ils s’aiment. N’oublions pas, suggère Maren Ade, d’être heureux.

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