Cinéma Godard, The Artist
Michel Hazanavicius vient de terminer le tournage du “Redoutable”, sa comédie sur le réalisateur d’“A bout de souffle” en plein Mai-68, avec Louis Garrel dans le rôle principal. Reportage exclusif
« Elections, piège à cons », « Toute la presse est toxique », « Mouvement de soutien aux luttes du peuple ». Les slogans qui s’affichent dans la galerie des Lettres de la Sorbonne en ce lundi de septembre 2016 ne sont pas des traces laissées là par Nuit debout. Un tag qui recouvre tout un pan de mur lève toute ambiguïté à ce sujet : « Godard, le plus con des Suisses prochinois. » Nous sommes sur le tournage du « Redoutable », le nouveau film de Michel Hazanavicius (sortie prévue au printemps 2017), dans lequel Louis Garrel interprète JeanLuc Godard emporté dans le tourbillon de Mai-68. La scène qui se tourne n’a pas réellement eu lieu. Hazanavicius y fantasme la réaction de Godard découvrant la célèbre pique des situationnistes. L’instant est fugace, focalisé sur le visage muet de Godard-Garrel qui, derrière ses verres teintés, accuse le coup. A l’image, cela se traduit par un subtil ballet de renfrognements et de froncements de sourcils qu’à la quinzième prise Hazanavicius trouve enfin à son goût. La trentaine de figurants habillés sixties qui animait l’arrière-plan peut enfin reprendre une activité normale.
Godard, sujet d’une comédie signée par le réalisateur de « The Artist »? On entend déjà les gardiens du temple Nouvelle Vague et autres thuriféraires de l’ermite de Rolle crier au sacrilège, comme ils l’avaient fait à la sortie des livres d’Anne Wiazemsky, « Une année studieuse » et « Un an après » (Gallimard), dont s’inspire Hazanavicius. Une raison de plus pour trouver le projet excitant. A mi-chemin des Mémoires et du journal intime, les récits de Wiazemsky, épouse du cinéaste de 1967 à 1970, dressaient un portrait inédit de Godard à un moment charnière de sa carrière et à travers l’oeil amoureux, c’est-à-dire affectueux et sans pitié, de celle qui partageait son quotidien. La révolution, en 1968, Godard ne la mène pas seulement dans la rue avec les étudiants et les ouvriers, il la fait dans son art et dans sa vie. C’est au terme de cette période qu’il se met à se fâcher avec à peu près tout le monde, rejette en bloc ses films d’avant (d’« A bout de souffle » à « Week-end ») et tourne le dos à son statut de star mondiale pour fonder le collectif Dziga Vertov, troquant un langage cinématographique qu’il considère bourgeois pour des expérimentations d’extrême gauche. Réinvention? Autodestruction? Il y a des deux. Dans les livres, tout passe par le regard de Wiazemsky, la jeunesse (elle a 21 ans, lui, 37) et la légèreté de la petite-fille de François Mauriac rappelant ce que fut le cinéma de Godard et ce que lui ne veut plus, ne sait plus être. Godard y apparaît comme un paradoxe ambulant, d’une seconde à l’autre génial et pathétique, admirable et odieux, grand révolutionnaire et petit-bourgeois. Une constante : son côté Mister Magoo, sa manière burlesque de traverser les événements et, running-gag en or, de « glisser, tomber et briser ses lunettes » à chaque manif.
D’OSS À JLG
Michel Hazanavicius a découvert « Un an après » par hasard alors qu’il cherchait un bouquin à lire dans un Relais H avant un trajet en TGV. Lui est tout de suite venue l’envie de l’adapter. N’est-ce pas, comme « The Artist », la relation entre un homme de spectacle et une actrice (il est, rappelons-le, en couple avec Bérénice Bejo)? N’est-ce pas, comme les « OSS 117 », l’histoire d’une femme moderne et d’un type borné? N’est-ce pas aussi matière à recréer une époque et un âge d’or du cinoche, marotte d’Hazanavicius? Wiazemsky avait refusé à plusieurs reprises que soit adapté « Une année studieuse ». Elle avait dit oui une fois sans que cela aboutisse. Lorsque Hazanavicius l’a rencontrée, elle a accepté au bout de vingt minutes, sans rien lire. « J’aime ses films, nous confie-t-elle par téléphone. Et le fait qu’en 1968 il avait 1 an. Il n’est pas dans la nostalgie ni dans la révérence envers la Nouvelle Vague, contrairement à beaucoup de gens qui s’y intéressent. » « Pour moi, Godard est très fort dans le champ de l’image, beaucoup moins dans celui de la politique », dit de son côté Hazanavicius, qui a envoyé une lettre au maître pour l’informer du film. Celui-ci a demandé à recevoir le scénario et n’a plus donné signe de vie.
Dans « Un an après », photographie de cette folle période d’ébullition artistique et politique, défilent Jean-Pierre Léaud, Deleuze, Lennon, McCartney, les Rolling Stones… Comment éviter le film Musée Grévin pour happy few à base d’acteurs grimés jouant des célébrités? « Il n’y a aucun autre personnage connu que Godard dans le film », prévient Hazanavicius. Hormis Bernardo Bertolucci et Marco Ferreri. « Le Redoutable », clin d’oeil au nom du premier sous-marin nucléaire français inauguré par de Gaulle en 1967, « est l’histoire d’un amour qui
“Michel Hazanavicius n’est ni dans la nostalgie ni dans la révérence envers la Nouvelle Vague.” Anne Wiazemsky
se défait. Et d’un homme qui se défait, explique le réalisateur. On prend le couple au moment de “la Chinoise” et on le quitte sur le tournage du “Vent d’est” [le western marxiste du groupe Dziga Vertov]. Je travaille, d’un côté, une veine proche de la comédie italienne, tendre et cruelle, de l’autre, une distanciation par un jeu sur la forme et dans la narration qui me permet de me promener dans l’esthétique godardienne des années 1960 – couleurs primaires, voix off, intertitres et calembours –, celle que je préfère. On n’est ni dans l’hommage ni dans la parodie », mais dans le détournement, le collage pop, cher au réalisateur. Après OSS 117, JLG 68. « Nous ne sommes pas godardiens, mais godardinesques », résume le chef op, Guillaume Schiffman, dont la mère, Suzanne, fut l’assistante de Godard avant qu’il ne la catalogue sociale-traître parce qu’elle s’était mise à travailler pour Truffaut !
COHN-BENDIT SUR LE TOURNAGE
« Ça, c’est exactement Jean-Luc », s’esclaffe Daniel Cohn-Bendit. Il vient de découvrir la mine contrariée, figée par la jalousie, de Garrel-Godard après qu’Anne – interprétée par Stacy Martin, la belle sylphide du « Nymphomaniac » de Lars von Trier, ici coiffée comme Macha Méril dans « Une femme mariée » – se soit vue complimentée par un étudiant croisé dans les couloirs de la Sorbonne. En visite sur le plateau avec Romain Goupil, qui fait une panouille dans le film en CRS cinéphile, l’ex-camarade de lutte de Godard s’enthousiasme pour le projet. « Dany, confie Hazanavicius, m’a dit un mot qui a synthétisé beaucoup de choses : masochisme. » L’ex-député européen renchérit : « C’est vrai. Jean-Luc va toujours là où ça fait mal… Comment, lorsqu’on est metteur en scène, ne pas être intrigué par ce cinéaste formidable qui s’est mis à tout déconstruire et à tourner des films où on s’emmerde au bout de cinq minutes? Godard est une victime de l’hyper-idéologisation de 68. »
Le tournage du « Redoutable », partagé entre Paris, le cap Bénat, ses alentours, et l’Italie, s’est terminé fin septembre par des scènes intimes dans l’appartement du couple, dont une très facétieuse de nudité intégrale. Deux mois après avoir débuté avec 600 figurants rejouant les émeutes étudiantes sur les boulevards Raspail et Henri-IV, bloqués une semaine pour l’occasion, en plein état d’urgence. Au casting, on trouve aussi Bérénice Bejo, Micha Lescot, Jean-Pierre Mocky et Grégory Gadebois dans le rôle de Michel Cournot, critique au « Nouvel Obs » et ami de Godard, qui, en Mai-68, devait présenter son seul film, « les Gauloises bleues », à Cannes avant que son copain suisse-mao, à la tête des états généraux du cinéma, ne réussisse à faire annuler le Festival. Et « le Redoutable » ? Postulera-t-il pour Cannes, où Hazanavicius fut célébré avec « The Artist », puis conspué avec « The Search » ? « On est sur un terrain glissant, pointe Florence Gastaud, coproductrice du film via Les Compagnons du Cinéma, la société qu’elle a créée avec Hazanavicius et Riad Sattouf. Il y en aura forcément pour reprocher à Michel de s’être attaqué à Godard. De plus, Cannes peut être très violent pour les comédies. Une fois le film fini, quand tout le monde s’accordera pour dire que c’est un chef-d’oeuvre, peut-être aurons-nous envie d’y aller. »