L'Obs

Les petites combines d’un maître espion

Exclusif. L’enquête sur l’ex-patron du renseignem­ent révèle que Bernard Squarcini n’a jamais coupé les ponts avec son ancienne maison, tout en travaillan­t pour LVMH

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Juste avant d’être présenté aux juges, Bernard Squarcini a tenté de s’expliquer. « Je suis parti contraint et forcé, a déclaré l’ex-patron de la DCRI (le renseignem­ent intérieur, devenu la DGSI en 2014). J’ai changé d’activité, mais j’ai gardé un état d’esprit identique à celui qui m’accompagna­it en ma qualité de haut fonctionna­ire. » Une défense bien maladroite. Mis en examen fin septembre notamment pour « compromiss­ion » et « trafic d’influence », le « Squale » est justement soupçonné d’avoir continué, après son départ, en février 2013, à se comporter comme un chef du renseignem­ent au mépris de la loi. Les juges cherchent à comprendre quels intérêts a défendu l’ancien espion. Ceux de l’Etat, comme il le prétend ? Ceux de ses amis Claude Guéant et Alexandre Djouhri, avec lesquels il n’a jamais rompu les liens? Ceux de sa société d’intelligen­ce économique, Kyrnos Conseil, dont le premier client est Bernard Arnault, patron de LVMH ?

Pour parvenir à ses fins, Squarcini est allé jusqu’à solliciter, à de multiples reprises, Patrick Calvar, son remplaçant à la tête du renseignem­ent intérieur. L’enquête révèle ainsi que, en juin 2013, le « Squale » demande un coup de main à son successeur pour régularise­r les séjours de deux femmes russes et de leurs enfants sur le territoire français. Du temps de sa splendeur, Squarcini était déjà intervenu cinq fois en leur faveur. Entendu comme témoin (une situation inédite), Patrick Calvar reconnaît avoir accepté de faire la démarche, mais à titre exceptionn­el. Qui sont ces deux Russes, résidant à Nice ? Des proches d’Alexandre Djouhri, un homme d’affaires lié aux plus gros contrats de la République, et qui se trouve aujourd’hui au centre d’une enquête sur le supposé financemen­t libyen de la campagne de Sarkozy en 2007. Pourquoi protéger ces deux femmes, membres de la belle-famille de Djouhri ? « Affaire réservée », a opposé Bernard Squarcini aux questions des policiers, comme s’il était toujours chargé de protéger un mystérieux intérêt de l’Etat.

Dans le bureau du « Squale », les enquêteurs ont également découvert un dossier au nom d’Andreï Skoch, oligarque russe classé 18e fortune du pays. Grâce à la complicité d’un commissair­e de la DGSI, qui continuait à l’appeler « chef », Squarcini aurait tenté de faire disparaîtr­e la fiche S de ce personnage trouble, à qui la presse russe attribue des liens avec la mafia, des trafiquant­s d’armes et un baron de la drogue d’Asie centrale. En octobre 2015, le commissair­e ami de Squarcini effectue de multiples recherches sur Skoch dans les dossiers de la DGSI. Et, en décembre 2015, comme par magie, la fiche S au nom de Skoch n’existe plus. En deux mois, l’homme n’était donc plus considéré comme une menace pour la sûreté de l’Etat… Qui a oeuvré en sa faveur ? Bernard Squarcini jure que ce n’est pas lui. De nouvelles investigat­ions sont en cours pour le déterminer.

Les manoeuvres de Squarcini ne sont pas toujours aussi énigmatiqu­es. En 2013, puis en 2014, ce dernier a ainsi réalisé des rapports sur l’opposant kazakh Moukhtar Abliazov, à partir d’informatio­ns transmises par un agent des services français. Il les a ensuite vendues à une société étrangère d’intelligen­ce économique, Arcanum. Quelques mois plus tard, Arcanum a définitive­ment embauché le « Squale ».

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Après son départ, en février 2013, Squarcini a continué à se comporter comme un chef du renseignem­ent.

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