L'Obs

“Godard, c’est Buster Keaton”

- PROPOS RECUEILLIS PAR N. S.

Qu’avez-vous pensé lorsque Michel Hazanavici­us vous a proposé le rôle de Godard?

Impossible, incongru, infaisable. Il m’a contacté lorsqu’il commençait à écrire. Puis il m’a fait lire le scénario, que j’ai adoré. Je lui ai quand même demandé de réfléchir. Et je ne lui ai jamais dit oui. Tout à l’heure encore, sur le plateau, il m’a demandé : « Alors, c’est oui ? » Je m’en voulais presque d’avoir envie de le faire. En soi, cela m’intéressai­t. Je n’avais pas lu Anne Wiazemsky, je connaissai­s mal cette période de la vie de Godard, son travail avec Jean-Pierre Gorin : « le Vent d’est », « Pravda ». Et bien sûr il y avait le rôle, même si je ne savais pas du tout comment le jouer. Godard est passionnan­t parce qu’il est dogmatique et que, le lendemain, il va contredire tout ce qu’il a affirmé la veille. Politiquem­ent, il a pu se tromper. Mais « la Chinoise », par exemple, dépasse le simple éloge du maoïsme. Godard a aussi une dimension clownesque. Il peut être marrant, très potache, amateur de jeux de mots enfantins. Il est aussi drôle comme pouvait l’être Buster Keaton, parce que sa réalité à lui parfois ne correspond pas à celle des autres. Or en 1968 il est contre tout. De ce choc naît le comique.

Dans « les Deux Amis », votre première réalisatio­n, il y a une scène où vous ironisiez déjà sur Mai-68.

C’est le troisième film où je joue qui se passe en Mai-68 ! J’avais tenté d’exorciser ça dans « les Deux Amis » et, paf, ça me retombe dessus. Les idéologies vieillisse­nt, la meilleure façon d’en parler, c’est sur le mode humoristiq­ue.

Comment avez-vous « trouvé » le personnage?

J’ai pensé à Philippe Caubère jouant Ariane Mnouchkine. Cette manière burlesque et un peu exagérée d’interpréte­r une personne existante. Caubère campait une Mnouchkine drôle, sympathiqu­e, touchante, amoureuse de son métier. Jamais il ne l’insultait et pourtant il la montrait sans complaisan­ce. Une phrase de Lubitsch m’a beaucoup parlé : « L’homme le plus digne du monde est ridicule au moins deux fois par jour. » « Le Redoutable » traite de façon épique les petits faits d’un grand artiste sur une courte période. C’est un exercice d’admiration vivable. Il a, je l’espère, quelque chose de la comédie italienne. On balance sans cesse entre premier et second degré. Sur le tournage, on soigne ce décalage cher à Michel tout en veillant à respecter l’histoire d’amour et l’artiste qu’est Godard.

Physiqueme­nt, en quoi consiste votre transforma­tion?

Elle est surtout capillaire. Un mélange de mes vrais cheveux et de faux. J’étais très réticent. Le théâtral me fait peur. Je disais à Michel : « Déréalison­s la chose. » Lui s’inspire beaucoup de ses dessins. Il m’a montré comment il croquait Godard en trois traits. Je me suis soumis à son style.

Vous imitez très bien Godard : l’accent suisse, le cheveu sur la langue, les chuintemen­ts. Comment doser ces effets sans tomber dans la caricature?

C’est la première fois que je joue masqué à ce point. Mais sous le masque, il faut être vrai. Et ça ne veut pas dire réaliste ou naturalist­e. J’accentue surtout les choses lors des apparition­s publiques du personnage : les manifestat­ions, les discours dans les amphis. Là, on joue avec son image médiatique, on la détourne, on s’amuse avec ses aphorismes et ses phrases péremptoir­es.

Lorsque Hazanavici­us vous a approché, vous lui avez répondu : « C’est comme si tu demandais à un catholique fervent de jouer Jésus. »

A 12 ans, j’avais vu « Hélas pour moi ». Son cinéma ne me fait pas peur, parce que je suis parti de ses films difficiles via mon paternel. Pour moi, Godard a toujours été un cinéaste et un intellectu­el. Il a un côté Treplev. Le type qui prend la machine et qui l’ouvre sans cesse. J’adore toutes ses années 1980. Parmi ses derniers films, j’aime beaucoup « Film socialisme » et « Eloge de l’amour ». « Adieu au langage », je n’ai pas assez bien compris.

Votre père, Philippe Garrel, fils spirituel du réalisateu­r du « Mépris », vous a-t-il donné des conseils?

Non. Mais je me suis demandé si le fait que je joue Godard allait faire souffrir des gens. J’ai sondé qui je pouvais. Ça ne coinçait que du côté des quadras et quinquas devenus cinéphiles avec Godard. Un film sur lui ne pourra jamais nuire à son oeuvre.

Vous l’avez rencontré?

Non. Un jour, je devais avoir 16 ans, j’ai entendu quelqu’un commander un café dans un bar. Je me suis retourné, c’était lui. Je ne lui ai pas parlé.

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Daniel Cohn-Bendit en visite sur le plateau.

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