L'Obs

Les alternatif­s

Si la mode n’était que moderne, comment se porterait le monde? Jugez-en par vous-même en faisant le tour des nouveaux venus

- SOPHIE FONTANEL

Les défilés parisiens commencent toujours un mardi. On s’en fout ? Non, vous allez voir. Le mardi est traditionn­ellement considéré comme un faux démarrage par les gens importants de la mode. Selon eux, ça ne « débute vraiment » que le mercredi. Le mardi, bon, oui, il existe, mais c’est surtout le jour des petits nouveaux, des défilés « pas si importants ». Et si jamais ces shows recèlent des pépites, bah ! il sera toujours temps de s’y intéresser un de ces quatre, si l’avenir prête fortune à ces gamins.

Il y a deux ans, quand la marque Vetements (aujourd’hui fameuse) est apparue, les journalist­es ne se pressaient pas aux shows. Demna Gvasalia (le fondateur) et sa bande ont été ignorés, comme les autres. Ils ont eu une cocasse manière de changer la donne : soudain, c’est eux qui ont refusé d’inviter les critiques de mode daignant enfin s’intéresser à eux. Et ça a été un moment truculent, l’ulcération des snobs, découvrant qu’il existait encore plus snob qu’eux !

Je vous raconte tout ça aujourd’hui parce que cette saison, à Paris, la nomenklatu­ra a eu « encore plus tort », pour ainsi dire, de ne pas s’intéresser aux alternatif­s.

Déjà, rien que chez Paskal, c’était la bonne petite claque, avec des robes qui auraient pu être cucul la praline, sauf qu’elles échappaien­t, même pas de justesse, à cet écueil. Tout en étant pastel, voire rose pastel! C’était ambiance « la comtesse de Ségur a fumé ses socquettes ». Et attention, quand Paskal s’attaque à la culte « petite robe noire », là aussi, c’est pulvérisat­ion de toute gnangnante­rie. Là aussi, c’est un cran plus loin.

Ensuite, chez Koché, il y avait une sorte de désobéissa­nce à tout, réjouissan­te. Une manière de faire. Tenez, rien qu’une cape de soirée. Tout y est : y a de la dentelle, y a de l’ampleur, et ça brille. Ça ficherait un boxon galvanisan­t à la soirée des César, par exemple. Koché dit en peu de mots, c’est-à-dire en pas de mots du tout, que quand une jeune personne juge les tenues de red carpets emmerdante­s, elle trouve vite une solution. La mini-cape collerette de ville, en dentelle, sera amusante à porter en famille, aussi ! Pour faire jaser les cousins.

Après, chez Y/Project, on avait une façon assez radicale (et irrésistib­le) de régler l’éventuelle hésitation qu’on pourrait avoir entre le short et le pantalon. Les vestes de jean aussi ont des ouvertures inédites, qui changent tout. Ce n’est pas tant que les codes sont bousculés, c’est qu’Y/Project arrive à inventer de nouvelles évidences. C’est très fort.

Ne parlons même pas de ce qui se passe chez Wanda Nylon. C’est encore ici qu’on a vu la plus déjantée des Gabrielle Chanel, avec son bibi et ses bottes de biker ! Fou, car il y a du Karl Lagerfeld dans ces tenues. Quelque chose relie ces trois êtres (Karl, Coco, Wanda) nés à des époques di érentes. Wanda Nylon est féministe. Comme une laborantin­e (et une artiste), elle cherche une manière d’exprimer la force, sans rien renier d’une extrême et merveilleu­se vulnérabil­ité qu’elle contient. On n’a pas fini d’en entendre parler. Ses bottes dorées en ont empêché certains de dormir. Parce que c’est pile ce dont on a envie en ce moment.

De nouveau l’esprit de Gabrielle Chanel chez Undercover. Mais c’est aussi parce qu’une certaine silhouette Chanel des années 1990, très « Ines de la Fressange défile avec son chien », revient dans l’air du temps. L’art d’Undercover, c’est d’arriver à intégrer dans une relative simplicité aussi bien l’esprit de la Sape congolaise que celui du sportswear américain, que celui d’un poulbot, peut-être jamaïcain d’ailleurs. C’est le melting-pot esthétique le plus réjouissan­t de la saison.

Lutz Huelle, lui, continue de creuser son rapport au vêtement total : soudain, voici une robe et un blouson de jean formant un seul habit. Sa robe beige faussement toute simple en faisait baver plus d’une. Backstage, il y avait tout un beau monde. Car c’est aussi intéressan­t de voir que ce type de shows permet aussi une conviviali­té inédite. On ne vient pas « dire un mot », machinalem­ent, au designer. Il y a encore une candeur, de vrais propos s’échangent. C’est encore un coin de paradis.

Chez Nehera, ah ! la belle histoire : le compte instagram du designer (#samueldrir­a) est un des plus inspirants du moment. L’ADN de Nehera ? Du sobre, du sobre, du sobre, sauf qu’ici, la vocation de dépouillem­ent devient l’absolue originalit­é, comme en témoigne ce pull ci-dessus : presque rien, et pourtant tant ! La vision de la robe tee-shirt (indigo) fait aussi rêver.

Terminons pas les gamins d’Afterhomew­ork, qui ont organisé leur défilé à l’arrache, avec des copines et des copains qui jouaient les models et à qui ils avaient dit : « Surtout, te marre pas en marchant, pense à des choses a reuses. » Ce qui donnait des moments fabuleux. Le jean qui s’élargit façon pièce montée pourrait bien être vite imité par… des imitateurs mondiaux. C’est signe que ces gosses en ont sous le pied. Souvent le cas des personnes de talent, non ?

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LUTZ HUELLE - LUTZ HUELLE
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