L'Obs

MACRON DEVOILE ENFIN SON PROGRAMME

Fin des 35 heures pour les jeunes salariés, retraite modulable, réforme de la carte scolaire, extension des droits au chômage ou autonomie des écoles dans le primaire… Emmanuel Macron dévoile ses propositio­ns. Entretien exclusif

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Tous les sondages promettent une victoire de la droite à la présidenti­elle. Pourquoi vous lancer dans une aventure pareille?

Je ne crois pas du tout à la logique de l’alternance, celle dans laquelle le système politique s’est enfermé pour survivre, et qui implique que les grands partis traditionn­els se succèdent mécaniquem­ent. Je ne crois donc pas du tout qu’en 2017 ce sera mécaniquem­ent le tour de la droite ! L’aventure que vous évoquez est une aventure de refondatio­n politique, parce que ce qui constitue aujourd’hui le Parti socialiste d’une part et Les Républicai­ns d’autre part n’est plus adapté aux vrais défis du pays. On ne peut plus avoir le même modèle de régulation économique et sociale qu’avant. Or le clivage gauche-droite se structure toujours autour des paramètres de l’ancien modèle.

Quand vous dites qu’on ne pourra plus avoir le même modèle social, cela signifie que nous n’aurons plus les mêmes protection­s?

Ce modèle, pensé pour l’économie d’autrefois, a construit une société aux régulation­s statutaire­s injustes et inefficace­s. Il a créé des inégalités profondes en favorisant surtout les insiders, c’est-à-dire ceux qui sont en contrat à durée indétermin­ée et ont un emploi stable dans les secteurs les plus structuran­ts de notre économie ainsi que les fonctionna­ires. Tous les autres sont restés sur le côté. Prenez par exemple un employé en CDI dans un grand groupe public ou privé et une personne qui fait exactement le même travail, parfois à côté de lui, mais pour le compte d’un sous-traitant ou d’une agence d’intérim. Ils n’ont pas les mêmes droits ni les mêmes protection­s. C’est là une injustice profonde !

Vous pourriez proposer d’améliorer le statut de ces travailleu­rs précaires en l’alignant sur celui des CDI?

On n’oblige pas par décret les entreprise­s à embaucher, ce n’est pas comme cela que ça marche ! L’extension de ce qu’on appelle les droits formels ne correspond plus au réel. Avec les meilleures intentions du monde et une gauche qui a gouverné la moitié du temps depuis trente ans, le chômage des jeunes n’est jamais tombé sous les 15%. Jamais! Le scandale est là. Aujourd’hui, notre système, nos belles entreprise­s ne proposent jamais d’emplois aux jeunes des quartiers difficiles. Pire, notre système a bâti des barrières qui empêchent ces jeunes d’accéder au marché du travail classique. Résultat? Ils entrent aujourd’hui dans la vie profession­nelle à un salaire inférieur au smic horaire en devenant des autoentrep­reneurs qui travaillen­t pour Uber ou les VTC. Sur le papier, on a étendu les droits formels à tout le monde, mais dans les faits on n’a jamais étendu les droits réels pour ces gens-là.

Vous avez été conseiller à l’Elysée, puis ministre. Pourquoi ne vous y êtes-vous pas attaqué en quatre ans?

Toutes les réformes que j’ai portées en tant que ministre de l’Economie allaient dans cette direction : ouvrir le système à ceux qui en sont exclus, créer du mouvement, donner de l’agilité. Mais on ne changera pas ce qui existe en se contentant de bouger tel ou tel paramètre. C’est notre modèle entier qu’il faut revoir. Aujourd’hui nous avons un droit du travail qui est très rigide puisqu’il est essentiell­ement défini par la loi, avec des règles qui sont les mêmes pour tous les secteurs et tous les acteurs de notre économie. Or ces secteurs sont bouleversé­s par des changement­s qui se font à des rythmes et avec des réalités très différents.

Vous voulez adapter le droit du travail en fonction des spécificit­és du secteur économique?

Il faut un droit du travail qui repose beaucoup plus sur le dialogue social. Dans notre pays, tout le monde parle de dialogue social, mais la vérité est que personne ne lui fait confiance. On lui préfère toujours la loi qui règle tout. Mais celle-ci va créer la même réalité pour le boulanger du Cantal et pour le groupe automobile de Seine-Saint-Denis. Or ça ne marche pas. Car leurs situations économique­s, leurs cycles économique­s, leurs modes de production ne sont pas les mêmes. Regardez ce qui est en train de se passer avec le compte prévention pénibilité. C’est une très belle idée, sur le principe, actée au niveau national par les syndicats et le législateu­r, mais c’est impossible de chercher à traiter la diversité des situations concrètes dans un texte unique. La mise en oeuvre efficace ne peut relever que d’un dialogue social au niveau de la branche.

A quoi souhaitez-vous résumer le droit du travail alors?

La loi doit définir un socle, c’est-à-dire un ordre public social. Les horaires de travail, le salaire minimum ou encore l’égalité hommes-femmes seront des sujets pour lesquels il ne faudra pas transiger. Mais la mise en oeuvre de ces droits et les autres questions qui ne relèvent pas de l’ordre public social devraient être renvoyées à des accords majoritair­es entre employeurs et salariés au niveau de la branche, et pour certains au niveau de l’entreprise.

Pour négocier il faut être deux, or en France le taux de syndicalis­ation est très faible…

Il faudra alors renforcer les syndicats au niveau des entreprise­s et des branches.

Ça se décrète, ça?

Aujourd’hui comme tout est défini par la loi, il y a un manque d’intérêt à se syndiquer sur le terrain. Le niveau fort, c’est plutôt celui de la confédérat­ion, où les élus du côté patronal comme du côté syndical négocient des textes nationaux parfois éloignés du terrain. Mais, demain, si vous donnez des responsabi­lités et du grain à moudre au niveau de la branche ou de l’entreprise, c’està-dire de vrais sujets à discuter, vous inciterez les gens à s’engager et cela créera une dynamique vertueuse pour les syndicats, les entreprise­s et le dialogue social. Il ne faut d’ailleurs exclure aucune mesure incitative en ce sens.

A l’échelle nationale, en revanche, vous estimez que le paritarism­e a montré ses limites, sur l’assurancec­hômage notamment…

Il est hypocrite de prétendre que l’assurance-chômage est encore un système paritaire : ce régime est en déficit permanent, il a accumulé plus de 30 milliards de dette, et c’est l’Etat qui en assure in fine l’équilibre financier. Si on veut garantir plus de transparen­ce, plus d’homogénéit­é et restaurer la confiance dans le système, il faut que l’Etat prenne ses responsabi­lités et gère luimême l’Unédic. Car il n’y a rien de pire qu’un système où celui qui décide n’est pas celui qui paie. Par ailleurs, l’Unédic reste éminemment injuste dans son fonctionne­ment parce qu’elle ne couvre pas tout le monde et qu’elle favorise ceux qui sont déjà les mieux protégés. Aujourd’hui une nouvelle solidarité s’impose pour couvrir par exemple les autoentrep­reneurs que nous évoquions tout à l’heure.

Est-ce que les droits changeront pour les chômeurs?

Nous devrons donner des droits nouveaux et rentrer dans une logique beaucoup plus transparen­te, qui ne sera plus pensée en fonction de la durée et du montant des cotisation­s, mais qui

“TOUT LE MONDE PARLE DE DIALOGUE SOCIAL, MAIS LA VÉRITÉ EST QUE PERSONNE NE LUI FAIT CONFIANCE. ON LUI PRÉFÈRE TOUJOURS LA LOI QUI RÈGLE TOUT.”

protégera des aléas de la vie profession­nelle ceux qui aujourd’hui ne sont pas couverts. En particulie­r ceux qui sont au régime de la microentre­prise ou les indépendan­ts.Il faut également réfléchir à accorder des droits au chômage en cas de démission. Cela pourrait éviter les burn-out de salariés qui demeurent dans une entreprise parce qu’ils pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix. On doit aboutir à un système universel d’accompagne­ment des transition­s d’un travail à un autre, quelle que soit votre situation : indemnisat­ion et formation. Cela revient donc à faire de la protection face au chômage et de la formation profession­nelle des prestation­s universell­es avec des droits mais aussi des devoirs.

Tous les candidats de droite souhaitent rendre les allocation­s de chômage dégressive­s. Et vous?

La droite se trompe. Son raisonneme­nt implicite laisse entendre que les gens préfèrent être au chômage. Ce n’est pas vrai! Les seules personnes qui peuvent tirer vraiment parti de leurs périodes d’inactivité, ce sont souvent les mieux formées et les plus qualifiées. Mais quand vous avez un taux de chômage de 10%, la dégressivi­té est la mesure la plus injuste qui soit. Cela ne fait que précipiter les plus fragiles dans les minima sociaux et donc dans la stigmatisa­tion et l’angoisse qui en découle. Dans un contexte de plein-emploi c’est différent, il faut donc pouvoir faire évoluer ces paramètres selon le cycle économique.

Que pensez-vous du contrat unique avec des droits progressif­s?

Intellectu­ellement, je suis pour. Mais nous avons signé une convention internatio­nale qui rend son applicatio­n très difficile

et dont il n’est pas aisé de sortir. La vraie différence pour les employeurs entre le CDD et le CDI tient surtout à la possibilit­é de rompre le contrat. Le point clé est donc de sécuriser le moment de la rupture et de l’après-rupture.

Sécuriser la rupture, c’est un euphémisme pour faciliter les licencieme­nts?

C’est tenter de sortir les gens de la précarité! La réalité aujourd’hui, c’est que lorsqu’on va aux prud’hommes il y a vingtseptm­ois de délai d’attente. Un cadre peut se permettre cette attente, pas le petit salarié. De même, un patron de grand groupe dispose des moyens financiers pour payer des avocats et résister à des procédures longues. Pas un patron de TPE. C’est pourquoi il faudra poursuivre la réforme des prud’hommes conduite dans la loi croissance et activité. Encore une fois, il s’agit de sortir de ce statu quo où l’on protège ceux qui sont au coeur du système, aux dépens de ceux qui en restent à la marge. Il faut trouver des équilibres pour faire rentrer tout le monde dans le système. Pour moi, c’est un point de bascule extrêmemen­t fort.

Etes-vous pour les contrats aidés?

Je suis pour dans le secteur privé, car cela permet d’aider des travailleu­rs exclus du marché du travail à accéder à l’emploi. Je suis plus sceptique dans le secteur public.

Souhaitez-vous revenir sur les 35 heures?

Ce débat est devenu surréalist­e ! Je ne crois pas du tout aux propositio­ns de la droite de retour généralisé aux 39 heures payées 35. Bon courage à ceux qui vont expliquer aux gens qu’ils vont perdre quatre heures supplément­aires… Il faut conserver une durée légale, un socle, mais laisser ensuite aux branches le soin de la moduler s’il y a des accords majoritair­es. Il faut aussi s’adapter aux individus. On peut ainsi imaginer que les branches profession­nelles négocient une possibilit­é pour les salariés qui le souhaitera­ient de travailler moins à partir de 50 ou 55 ans : 30 heures, 32 heures, pourquoi pas ? En revanche, quand on est jeune, 35 heures, ce n’est pas long. Il faut donc plus de souplesse, plus de flexibilit­é.

Vous êtes donc pour un smic jeunes?

Je ne crois pas que créer un smic jeunes soit la bonne manière d’aborder le problème, mais il faut l’affronter avec lucidité. Quand on est jeune, 35 heures ce n’est pas assez. On veut travailler plus, on veut apprendre son job. Et puis il y a un principe de réalité. Un entreprene­ur raisonne ainsi : ce jeune n’est pas qualifié, je veux bien l’embaucher, mais il va apprendre son job en entrant dans mon entreprise, donc il faut qu’il effectue davantage d’heures. L’important, c’est que l’Etat adopte des mesures incitative­s pour que les chefs d’entreprise recrutent des jeunes salariés, par exemple en prenant en charge le coût de leur apprentiss­age.

Souhaitez-vous la même flexibilit­é pour l’âge de la retraite?

Bien sûr! Certains veulent la prendre à 60 ans, d’autres à 65, d’autres encore à 67. Il faut pouvoir moduler selon les individus et les situations. Comme je vous l’ai dit, si on se contente d’appliquer des critères de pénibilité de manière arbitraire, on ne fera que recréer des régimes spéciaux.

Un socle commun et de la souplesse… Est-ce que vous déclinez cette philosophi­e à d’autres secteurs comme l’école par exemple?

Notre système éducatif a été pensé de manière uniforme dans un objectif de massificat­ion de l’enseigneme­nt, avec des pratiques pédagogiqu­es qui consistaie­nt à classer et à trier. Mais quand 86% d’une classe d’âge a le bac, les défis ne sont plus les mêmes. Parallèlem­ent, on a construit du déterminis­me social. La réussite scolaire, l’accès aux grandes écoles est beaucoup plus fermé qu’il y a vingt ans. Donc, oui, les moyens et capacités ne peuvent pas être les mêmes partout. Aujourd’hui une école primaire de Calais en réseau d’éducation prioritair­e où une proportion non négligeabl­e des enfants ne savent pas lire et écrire en CM2 n’a pas les mêmes défis à relever que l’école du 5e arrondisse­ment de la capitale.

Que faites-vous pour l’école de Calais?

Vous lui donnez évidemment beaucoup plus de moyens et beaucoup plus d’autonomie. Il faut arrêter de saupoudrer et assumer d’y investir de façon différenci­ée. Il faut donner plus à ceux qui ont le plus de besoin.

Il faut plus de profs par classes?

Bien sûr, mais de manière différenci­ée. Dissocier des classes dans un quartier favorisé de la capitale aurait très peu d’impact, parce que pour les enfants l’essentiel se joue avant l’école ou à côté. En revanche, dans un quartier défavorisé, cela aurait un impact massif. Pourquoi est-ce que, dans l’école dont je parle, trop d’élèves de CM2 ne savent ni lire ni écrire? Parce que certains d’entre eux n’ont pas le bagage minimum. Ils ont très peu de mots de vocabulair­e quand ils arrivent en CP. L’accompagne­ment familial n’est pas le même ; le suivi médical non plus. L’école doit donc être différenci­ée : donner plus de temps avec l’enseignant à moins d’élèves, renforcer la médecine scolaire.

“JE SUIS POUR LES CONTRATS AIDÉS DANS LE SECTEUR PRIVÉ… JE SUIS PLUS SCEPTIQUE DANS LE SECTEUR PUBLIC.”

Le prof de Calais doit être mieux payé que celui du 5e?

Evidemment! Le prof de Calais doit être plus expériment­é. Il doit donc être beaucoup mieux payé, bien mieux reconnu et avoir une liberté pédagogiqu­e beaucoup plus forte.

C’est une grosse révolution…

Oui. Je crois à une véritable autonomie pédagogiqu­e pour les établissem­ents.

Ils n’auront pas le même programme?

Si. Ils ont un socle qui est le même programme. Et après on leur donne des capacités. Je vais vous donner un exemple : les fameuses classes bilangues et les options. Elles étaient un moyen pour les établissem­ents de quartiers difficiles d’être attractifs pour les meilleurs élèves et ainsi améliorer la mixité sociale. Cela permettait donc une différenci­ation utile et souhaitée. J’étais il y a quinze jours à la Paillade, qui est un quartier réputé sensible de Montpellie­r. Je parlais avec des membres d’associatio­ns. Ils faisaient le tableau clinique de la dénonciati­on de nos politiques sociales qui sont des politiques d’assignatio­n à résidence. Une mère de famille me dit : « Moi, avec la carte scolaire, je n’ai pas le droit de mettre mon gamin à l’école en centre-ville, c’est injuste. Il n’y a plus de petits blonds dans nos écoles. » Ce sont dans ces endroits-là qu’une offre de contenus différenci­és, de discipline­s scolaires supplément­aires peut amener de la mixité. Or on leur dit : « Vous avez le RSA, on a rénové vos immeubles, restez dans vos quartiers et ne venez pas nous déranger. » Mais ce qu’ils veulent et ce qu’on leur doit, c’est de la mobilité sociale.

Vous supprimez la carte scolaire?

On doit absolument la faire évoluer.

Et le collège unique?

Je ne vois pas l’intérêt de remettre en cause le collège unique. Et je pense profondéme­nt que la priorité, c’est l’école primaire. C’est là que la révolution est à faire. Les sacrifiés du collège unique sont ceux qui ne savent pas lire et écrire en y arrivant. Ce serait donc prendre le problème à l’envers que de déconstrui­re le collège unique. L’autre investisse­ment doit couvrir la fin du lycée.

Après le bac?

Oui parce qu’on n’a pas pensé le système pour traiter autant de bacheliers. L’inégalité se recrée après le bac, entre ceux dont les parents ont une visibilité sur les formations et ceux qui sont désorienté­s, s’inscrivent à la fac et ne finissent pas la première année. C’est un gâchis pour eux, pour la société, pour l’université. Le problème actuel est celui de l’orientatio­n dans tout le lycée, parce qu’on n’y fait pas rentrer l’entreprise, les débouchés profession­nels, les débouchés universita­ires dès la seconde.

Faut-il mettre fin au régime des grandes écoles?

Je suis de ceux qui pensent que quand un système dysfonctio­nne il ne faut pas casser ce qui marche. Des améliorati­ons sont à décider. Il faut aussi permettre à l’université d’intégrer bien davantage, lui permettre d’avoir des formations d’excellence.

Avec de la sélection?

Oui, avec de la sélection, au niveau du master. Et dans dix ou quinze ans, vous rapprocher­ez les grandes écoles des université­s.

Le sens de l’Histoire, c’est que la connaissan­ce et la recherche se font à l’université. Elles ne se font pas dans les grandes écoles.

Vous pensez qu’on est passé à côté du sujet avec la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem?

Je pense que ce n’était pas la mère des batailles. La mère des batailles, c’est l’investisse­ment pour l’école primaire.

Vous en avez discuté avec François Hollande? Avec les ministres de l’Education nationale de ce quinquenna­t?

J’en ai discuté avec François Hollande, j’en ai discuté avec Vincent Peillon. Je suis arrivé à cette conclusion : ce système est très dur à piloter d’en haut. Si vous ne déconcentr­ez pas sa gestion, vous n’arrivez pas à rendre du pouvoir à ceux qui font sur le terrain et qui voient la société évoluer. Vous restez dans un système qui est de fait de la cogestion !

Avec ce que vous proposez sur le social, sur l’éducation, vous risquez de mettre beaucoup de gens dans la rue…

Je ne crois pas qu’il y ait une fatalité à cela.

Pourquoi réussiriez-vous où d’autres ont échoué?

Parce que j’ai l’optimisme de la volonté. D’abord je dis les choses, y compris lorsque cela peut contrarier la représenta­tion classique. Quand on est progressis­te, on a une responsabi­lité particuliè­re, celle de transforme­r la société. La recomposit­ion politique que je porte pourra changer les choses, parce qu’elle s’appuie sur un discours de vérité et sur une méthode. Il faut enfin être clair sur les valeurs. Moi, je crois à l’émancipati­on par le travail, à l’universali­té des droits et à l’individual­isation de leur prescripti­on, à plus d’agilité. Mais je ne crois pas à l’anomie, ni à l’individu laissé à la brutalité de la société ou du marché du travail. Je suis contre la stigmatisa­tion de l’« assistanat », contre le déterminis­me social. Si vous êtes clair sur les valeurs, vous pouvez faire bouger les acteurs. Il faut leur donner un cap.

Notre pays traverse une crise d’identité. C’est quoi pour vous être français?

La notion même d’identité renvoie soit à une identité rétractée soit à une identité fantasmée. Pour moi, la France n’est ni une identité ni une idée, c’est une volonté, c’est une projection. La crise que l’on traverse est d’abord une crise des élites politiques. Elles ont acté qu’on pouvait laisser les choses se gérer comme avant, qu’il y avait une sorte de fatalité. C’est le cynisme de l’alternance qui distribue les places à tour de rôle, c’est aussi le cynisme de la peur qui fait croire aux Français que leur pays part à vau-l’eau, qu’il est fragile… Mais il y a aussi une trahison d’une partie des élites économique­s qui considère depuis longtemps que le destin du pays n’est plus leur sujet. Je ne connais pas d’autre pays développé où des dirigeants dénigrent à ce point leur pays.

On croirait entendre Jean-Luc Mélenchon dénoncer l’oligarchie…

Vous savez, c’est exactement le discours que j’ai tenu à l’été 2015 devant le Medef, mais à l’époque on n’avait retenu que la phrase sur le temps de travail !

Aujourd’hui, on entend plutôt un discours de déclin et de repli sur soi…

Le terreau sur lequel tout cela s’installe, c’est l’insécurité des classes moyennes françaises, c’est une insécurité de destin, c’est la peur de la mondialisa­tion. Et quand il faut trouver un coupable, il est toujours facile à trouver, c’est l’autre, c’est l’étranger. Au fond, au travers d’un problème sous-jacent d’identité, la France est en train de se fracturer en trois. Vous avez la France des métropoles qui réussit dans la mondialisa­tion, qui attire les talents, qui attire le succès, qui attire les superstars sur les plans culturel, éducatif, économique, etc. Et qui se dit : « Tout va bien se passer, tout le monde va en profiter, ne serait-ce que par une forme de ruissellem­ent. » A côté de ça, vous avez une France en déprise, devenue terrain du Front national. C’est la France « périphériq­ue ». C’est la France périurbain­e des villes moyennes de province, frappée par le chômage et le désengagem­ent de l’Etat. C’est Amiens, la ville où je suis né, que j’ai vue se transforme­r. C’est aussi la France rurale qui se sent abandonnée. Toute cette France qui s’est construite sur une politique d’aménagemen­t du territoire volontaris­te, sur le progrès social, et donc sur l’histoire de la République, estime qu’elle n’a plus sa place. C’est là que le Front national prospère.

Et la troisième France?

C’est celle des quartiers, de la grande difficulté urbaine, enkystée dans les périphérie­s de métropoles et qui, elle, est assignée à résidence, est enfermée. On y a fait une politique de rénovation urbaine qui a été fondamenta­le, qui a amélioré les choses, mais qui n’est que territoria­lisée. Au fond, on lui dit : « On améliore ton quotidien, mais tu restes aux franges de la République. » Dans de trop nombreux endroits, ceux où les pouvoirs publics ont été le moins efficaces, cette France a basculé du côté des communauta­rismes et parfois du salafisme. C’est celle-là, d’ailleurs, qui est perçue par la seconde comme une source d’insécurité culturelle, parce qu’elle renvoie une image de gens qui se construise­nt contre la République. C’est là où le discours sur l’identité ne me paraît pas être une fatalité. Le fait religieux y est présent, mais c’est une démarche politique qui est menée par certains contre la République, qui instrument­alisent la frustratio­n économique et sociale. Pourquoi des enfants de deuxième ou troisième génération d’immigrés versent-ils dans le fondamenta­lisme religieux, dans la haine de la République, contrairem­ent à leurs parents ? Parce qu’il y a du ressentime­nt économique et social, parce qu’ils sont assignés à résidence, parce qu’on ne leur propose aucune mobilité et que derrière on a un imaginaire défaitiste qui s’est structuré. Et c’est dans ce contexte que les discours de haine contre la République peuvent prospérer.

Existe-t-il un risque de « partition » communauta­ire, comme le redoute François Hollande à la fin du livre de Davet et Lhomme?

Pourquoi les choses peuvent-elles, à un moment donné, s’affaisser et revenir en arrière ? Parce que vous ne portez plus un projet. Parce que vous n’expliquez plus aux Français comment vous allez les aider à trouver une place, comment vous allez les aider à réussir dans cette mondialisa­tion. Or la France est armée

“J’AI L’OPTIMISME DE LA VOLONTÉ. JE DIS LES CHOSES, Y COMPRIS LORSQUE CELA PEUT CONTRARIER.”

pour gagner dans une économie de la connaissan­ce. Nous sommes le pays le plus inventif d’Europe, le plus créatif, simplement on doit adapter nos structures, mais on a tout pour réussir. Notre défi aujourd’hui n’est pas de survivre ou nous adapter à la mondialisa­tion, c’est de réussir économique­ment, de défendre avec fierté nos valeurs et de continuer à rayonner en portant l’universali­sme, celui de notre langue, de notre culture.

Il va falloir évangélise­r, là…

Mais non. Simplement nous avons construit des structures intermédia­ires qui étouffent ce talent. Dans les quartiers dont on parle, qu’est-ce qui me rend très optimiste ? C’est que vous avez presque trois fois plus de créations d’entreprise­s que dans le reste du pays, donc il y a une vitalité. Je pense, au fond, que la France qui bascule du côté du FN est malheureus­e, elle n’embrasse pas le FN dans une étreinte joviale. L’erreur politique, c’est de pousser les gens vers une très profonde transforma­tion économique et sociale tout en trahissant les valeurs. Ça, c’est une erreur fondamenta­le, parce qu’il ne faut pas bouger sur les valeurs. Il faut être absolument intraitabl­e. Notre pays a toujours été porté par son universali­sme. La France n’est elle-même que quand elle se dépasse, quand elle porte ses valeurs de fraternité au-delà d’elle-même, quand elle réussit à créer des choses qui étaient impensable­s. La bataille qui est la nôtre, c’est de rendre les individus capables.

Il y a cinq ans, vous étiez un conseiller de l’ombre inconnu du grand public. Aujourd’hui, vous voilà présidenti­able. Vous y pensiez déjà en 2012?

J’ai toujours voulu faire quelque chose pour mon pays, dans mon pays. Un engagement, des indignatio­ns et une volonté de faire… J’ai toujours, à chaque étape de ma vie, eu cela en tête. Les circonstan­ces, non. Même quand je quitte l’Elysée à l’été 2014, je n’imagine pas une seule seconde que je vais revenir un mois et demi plus tard et que je serai aujourd’hui à vous parler comme je le fais. Après il y a, certains diraient des circonstan­ces, d’autres parlent de hasards objectifs, je préfère la théorie des hasards objectifs.

Qu’est-ce qui peut faire que vous ne seriez pas candidat?

C’est une drôle de question…

“IL NE FAUT PAS BOUGER SUR LES VALEURS. IL FAUT ÊTRE ABSOLUMENT INTRAITABL­E.”

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L’EX-MINISTRE EN VISITE DANS LES LOCAUX D’UNE ASSOCATION DE LA PAILLADE, UN QUARTIER RÉPUTÉ SENSIBLE DE MONTPELLIE­R, LE 18 OCTOBRE.
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LE FONDATEUR D’EN MARCHE ! EN MEETING, LE 5 NOVEMBRE.
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EMMANUEL MACRON, DANS SON BUREAU DE LA TOUR MONTPARNAS­SE, LE JEUDI 3 NOVEMBRE.

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