Bonnes feuilles « Nicolas et les vampires », de Serge Raffy
Dans son nouveau livre*, notre collaborateur Serge Raffy raconte comment l’ex-président s’est nourri de la haine qu’il suscite, y compris dans son propre camp, pour revenir dans l’arène. Extraits
Dans son refuge de la rue de Miromesnil, Nicolas Sarkozy observe le jeu de celui qu’il considère désormais comme son seul concurrent pour la primaire de la droite. Alain le miraculé, à la différence des autres prétendants, ne le cloue pas au pilori. Il joue l’homme pondéré, prêt à tous les pardons pour rassembler le pays autour de lui. Après le désastre de la guerre Copé-Fillon, l’ancien président s’attendait à voir le « juge de paix », Juppé le consensuel, prendre les rênes du parti, entamer un grand ménage au sein de l’appareil, étage par étage. Une « désarkozysation » en douceur de la machine UMP. Et puis, rien. […]
« Quand Nicolas a pris l’UMP, à l’automne 2014, Juppé arborait le sourire crispé qu’on lui connaît, raconte un sarkozyste. Devant les caméras, il a lancé un ironique “Habemus papam”, la mâchoire tendue comme une arbalète. Il adoubait son ennemi, la mort dans l’âme. Mais il n’a rien fait pour le sortir du jeu ou même seulement le neutraliser. » Aurait-il donc si peur de lui ? « Quand Sarko arrive dans une réunion, Juppé, comme les autres, est tétanisé par sa présence, dit un soutien de Bruno Le Maire. Il y a une forme d’électricité qui se dégage. Ce côté petit Bonaparte qui entre dans une pièce, le regard noir, la mâchoire tendue, comme s’il allait sortir son flingue, met mal à l’aise. Avec lui, on ne sait jamais s’il va prononcer une blague à deux balles ou un sous-entendu destiné à blesser ou à humilier. »
Alain Juppé, comme les très bons élèves, habitués aux prix d’excellence, croit que les victoires se gagnent au mérite. Il ne ferraille pas, il calcule. Il n’a pas de clan, il a des collaborateurs. Il ne menace pas, il fait un exposé. L’agrégé de lettres classiques, la « tête d’oeuf » férue de latin et de grec ancien, a du mal à maîtriser ses sentiments à l’égard de Nicolas Sarkozy. Il a été son ministre de la Défense puis des Affaires étrangères, durant les dernières années du quinquennat, jusqu’en 2012. A l’exception de l’intervention française en Libye, où il a eu le sentiment d’être mis à l’écart, le président l’a plutôt toujours bien traité. Pourtant, le malaise persiste. Pas seulement à cause des mauvais souvenirs de l’époque balladurienne. « En fait, Alain Juppé savait qu’il était tenu en laisse, que son bâton de maréchal de ministre d’Etat était aussi une manière de le neutraliser, de le vassaliser, explique un lieutenant du maire de Bordeaux. On savait que Sarko avait une
formule pour Juppé : « Celui-là, il faut l’occuper, il faut pas qu’il me fasse chier. »
[…] Alain le Landais se destinait à devenir chirurgien ; la vue de l’hémoglobine lui provoqua de telles terreurs qu’il dut y renoncer. Malgré ce handicap, il avait un faible pour la corrida, courait les plazas,à Dax, Bayonne ou Mont-de-Marsan, fasciné par le spectacle de ces toreros au visage d’enfant, légers comme des plumes, affrontant le Minotaure, le poitrail offert aux cornes du monstre. Aujourd’hui encore, l’ancien Premier ministre de Chirac joue les aficionados. De haut. Il ne descend jamais dans l’arène. Comment ne serait-il pas fasciné par la psychologie de son rival, mi-taureau, mi-torero, qui se réveille tous les matins pour lutter contre les « monstres », ses ennemis, réels ou imaginaires, qui hantent ses nuits ? Sarkozy le puncheur ne se réalise que dans la castagne. Dans ces moments, il parle comme un charretier, n’est plus qu’un coupe-jarret surgi de la cour des miracles.
“IL FAUT QUE LE CANDIDAT DE LA PRÉSIDENTIELLE SOIT LE CHEF DU PARTI”
La France veut un père tranquille. Un « Pépère »? François Hollande aurait pu occuper ce créneau, avec sa rondeur pateline, sa patience de bonze, son goût immodéré du consensus, mais sa majorité, rongée par les divisions, l’en a empêché. Les frondeurs, fidèles d’Arnaud Montebourg, de Martine Aubry, ou de Benoît Hamon, dès les premières minutes de son mandat, ont tiré à boulets rouges sur lui, avec une virulence suicidaire. Résultat: l’autorité du président socialiste s’est délitée au fil des jours […]. Ce dernier gouverne, durant les derniers mois de son mandat, dans une ambiance de fin de règne. « C’est quelque chose qu’on a regardé de près, analyse un membre de l’équipe de Nicolas Sarkozy. En observant les socialistes se déchirer, on avait en live les effets pervers d’une primaire. En fait, le vainqueur n’avait pas réussi à rassembler son camp. L’unité n’était que de façade, un chiffon de papier. Les écuries des candidats du premier tour, en sous-main, alors qu’ils étaient au pouvoir, effectuaient une entreprise de démolition contre l’Elysée, comme si la primaire de 2011 n’avait jamais existé et qu’ils étaient déjà dans celle de 2017. C’est dévastateur. Pour sortir de ce piège, il faut que le candidat de la présidentielle soit le chef du parti, ce qui n’était pas le cas de Hollande. Il l’a payé très cher. »
“NICOLAS SARKOZY, C’EST BARBAPAPA”
[…] Marine Le Pen se contente de répéter que l’ancien président de la République est un has been, qu’il ne reviendra jamais, que son seul rival pour 2017 est Alain Juppé. Le président des Républicains peut élaborer tous les plans qu’il veut pour lui nuire, confie-t-elle à ses proches, il ne pourra pas « refaire le coup de 2007 », quand Patrick Buisson le coachait pour « pêcher dans les eaux troubles du FN ». Qui peut encore croire le « baratineur » ? ajoute-t-elle. Marine Le Pen est convaincue qu’il ne parviendra pas à fissurer son électorat. Elle surnomme Nicolas Sarkozy « Barbapapa », du nom du héros d’un dessin animé pour enfants dont les personnages, en forme de poire, ont la capacité de changer d’apparences à volonté. « Nicolas Sarkozy, c’est Barbapapa, ironise la patronne du FN. Il peut se transformer en patriote, en centriste, en immigrationniste ou en opposant à l’immigration. N’ayant pas de colonne vertébrale, il fait fi de toute sincérité ou conviction, il s’adapte. »
UN MÉLANGE DE DRACULA ET DE D’ARTAGNAN
[…] Comme tous les grands requins de la politique, Nicolas Sarkozy a échappé à toutes les tempêtes. Du moins, en est-il revenu vivant. C’est un homme balafré, humilié par la défaite, qui veut encore croiser le fer dans l’arène électorale. Il tente un pari insensé: revenir au pouvoir après en avoir été chassé. S’il parvenait à ses fins, ce serait un exploit historique. Nombreux sont ceux qui prophétisaient, pour lui, un accident en plein vol. Tant de vampires voulaient se repaître de sa dépouille. Et pourtant, il a survécu. L’instinct de vie a été plus fort que tout. Ce grand blessé de guerre, qui prétend que la politique est la vie à la puissance 10, est un rescapé. Comme tous ceux qui ont connu le naufrage, il n’a rien à perdre.
Est-il animé par un esprit de revanche ? Il jure que non. Mais comment le croire ? Les compétiteurs ne sont jamais aussi féroces et déterminés que quand ils ont l’âme ensanglantée. Le sang… celui que les vampires ne lui ont pas sucé. Comment a-t-il fait pour ne pas tomber sous les crocs de ses ennemis? On peut ne pas adhérer au personnage, à son idéologie, à ses méthodes. On peut détester ou adorer le côté fripouille, la démagogie sans bornes, de l’homme sans états d’âme, prêt à tous les virages, tous les contre-pieds pour parvenir à ses fins. On peut aussi observer la trajectoire de ce fils d’immigré hongrois, plus français que les descendants de Clovis, avec une forme de curiosité romanesque. Et si le plus grand des vampires, tout compte fait, c’était lui ? N’at-il pas bu à toutes les veines des grands hommes politiques de la Ve République ? Dans celles de Jacques Chirac pour le côté conquistador, de François Mitterrand pour ses méthodes florentines, de Jacques Chaban-Delmas, dont il se prétend toujours un disciple, de Charles de Gaulle, parce que son grand-père était gaulliste, de Charles Pasqua, pour l’art des intrigues obscures. L’ancien président s’est nourri de toutes ces figures avec la voracité d’un grand prédateur.
[…] Nicolas Sarkozy est un mélange détonant de Dracula et de d’Artagnan. Venu, par sa mère, des rivages de Corfou, il a le sang chaud des Méditerranéens. Et, par son père hongrois, né Nagy-Bocsa, l’âme sombre et tourmentée des peuples magyars. Mais, pour beaucoup de Français, il reste Astérix, le Gaulois astucieux, qui sort de tous les pièges. C’est cette image, au fond, que ses partisans veulent conserver de lui. Et, aussi, son côté showman. Au siècle de la tyrannie de l’image et du divertissement, il reste un sacré client. Avec lui, le spectacle est garanti. Quel que soit le dénouement.