Spectacle Alexis Michalik sauve le théâtre
Comme les précédentes, sa nouvelle pièce, “EDMOND”, fait un tabac. Toutes sont pourtant montées à peu de frais et sans têtes d’affiche. Qui est donc CE DRAMATURGE de 33 ans, et quel est son secret? Rencontre
Alors qu’il n’y a vraiment pas foule en ce moment dans la plupart des théâtres privés de Paris, le jeune Alexis Michalik collectionne les succès. Créé en 2011 dans le « off » d’Avignon, « le Porteur d’histoire » poursuit aujourd’hui encore sa carrière aux Béliers parisiens après s’être donné au Théâtre 13, puis au Studio des Champs-Elysées. Début janvier 2014, création du « Cercle des illusionnistes » à la Pépinière. Nouvelle réussite. Enfin depuis quelques semaines se joue au Palais-Royal « Edmond », où est raconté comment Edmond Rostand a accouché de « Cyrano de Bergerac ». Public comblé, salle comble. « Succès assuré », prophétise « l’Express ». « Edmond, c’est canon ! » titre « le Parisien », et « le Canard enchaîné » use du qualificatif « épastrouillant »…
Le héros du jour nous a fixé rendez-vous dans un café, au bord du bassin de la Villette. C’est un doux jeune homme de bientôt 34 ans, regard clair, cheveux
et barbe blond roux, vêtu comme tous ceux de son âge qui ne travaillent pas dans une banque : sweatshirt, jean, baskets. Mais vous le connaissez sûrement, il a déjà tourné plusieurs films et séries télé, parmi lesquelles « Kaboul Kitchen » pour Canal+. Bien qu’il compte un Polonais et une Australienne parmi ses aïeux et que sa mère soit anglaise, il se considère comme un vrai Parisien. « C’est au club théâtre du lycée Jules-Ferry que j’ai chopé le virus. » Après le bac, il trouve un agent, tourne deux ou trois films, puis a la chance de tomber sur Irina Brook qui cherche un Roméo. Sa Juliette sera Jennifer Decker, actuellement pensionnaire de la Comédie-Française. Sur Irina Brook il ne tarit pas d’éloges. « Super ! Hypercalme comme son père, très diplomate, elle a le chic pour fédérer une équipe. Elle n’appartient pas à une chapelle, va chercher des gens de tous horizons et fait des spectacles généreux, tournés vers le public. C’est elle qui m’a donné le goût de la mise en scène. »
Il entre au conservatoire d’art dramatique du 19e arrondissement, puis au Conservatoire national mais n’y fait pas de vieux os : il quitte la place pour monter son premier spectacle. En 2005, à 20 ans, grâce aux cachets rapportés par « Diane, femme flic » (TF1) ou « Petits Meurtres en famille » (France 2), il se lance dans une adaptation du « Mariage de Figaro », de Beaumarchais. « On s’entassait à treize dans une baraque pour huit, située à quarante bornes d’Avignon : une heure de route. Génial! C’est fascinant, le “off”. Tout le monde est logé à la même enseigne. Même les vedettes vont tracter. Au bout d’une semaine, grâce au bouche-à-oreille, on sait qui sont les bons et les mauvais. C’est assez juste finalement. »
Sur la scène du Théâtre des Corps saints, douze copains du conservatoire du 19e. Et ça marche. « Alors je me suis dit : bon, si ça plaît à des gens qui ne sont ni des parents ni des amis, ça vaut la peine de continuer. » Rebelote l’année suivante avec « la Mégère à peu près apprivoisée ». « On l’a jouée environ trois cents fois, mais il nous a fallu trois Festivals d’Avignon avant d’attaquer Paris. »
Il fait alors deux rencontres décisives : celle d’Arthur Jugnot, comédien, producteur et directeur de théâtre. Et celle de Benjamin Bellecour, comédien lui aussi et codirecteur du Ciné 13 Théâtre qui accueillera « la Mégère », puis « Roméo et Juliette ». Deux amis de sa génération. Même détermination à être des moteurs de spectacles. En 2010, Bellecour lui propose de participer aux « Mises en capsules » du Ciné 13. « Je ne voulais pas écrire “à la table” mais “au plateau”, à partir d’improvisations. Ça m’excitait beaucoup. Trois dates dans un festival-laboratoire, c’était sans danger. » A partir de cette première mouture du « Porteur d’histoire », tout s’enchaîne. Le Théâtre 13 l’invite à présenter l’intégralité de la pièce. Les files d’attente gonflent au guichet. En février 2013 le spectacle est repris au Studio des Champs-Elysées pour 60 représentations. Il en fera 700.
“POURQUOI LE THÉÂTRE DEVRAIT-IL SÉCRÉTER L’ENNUI ?”
Les triomphes, ça vous désarçonne comme les échecs, il faut aussitôt se remettre en selle. A quoi Michalik va s’employer avec « le Cercle des illusionnistes ». Lequel a prouvé que le succès du « Porteur d’histoire » n’était pas un hasard. « Edmond » est un projet destiné au cinéma, mais tous les réalisateurs contactés l’ont refusé. Michalik décide alors de passer par le théâtre. Douze acteurs sur le plateau, pas de tête d’affiche… Sébastien Azzopardi, codirecteur du Palais-Royal, dit quand même banco. La fortune sourit à l’audacieux. Cependant Michalik assure ne pas connaître la recette du succès. « J’essaie de faire des spectacles à la fois populaires et exigeants. Pourquoi le théâtre devrait-il sécréter l’ennui? » Principale qualité, son sens du rythme. Son obsession, faire la chasse aux temps morts. Si secret il y a, c’est là qu’il réside, Michalik n’est pas doué pour la langueur. C’est un type bien dans sa peau, qui respire la joie de vivre. On dirait que la réussite n’a sur lui aucune emprise. L’argent l’intéresse peu. « Je n’ai jamais manqué de rien. Nos parents nous emmenaient en vacances, au théâtre, au cinéma, nous donnaient du temps, de l’amour. Ils étaient cultivés, on parlait de tout avec eux. » Il habite un quartier populaire de Paris (« Du moment qu’on a un toit… »), sa voiture a dix ans d’âge (« Je n’aime pas conduire »), il n’a pas de résidence secondaire, ne porte pas de vêtements de luxe, ne boit pas… « Ça ennuie mes amis : ils ne savent pas quoi m’offrir pour mon anniversaire. » Il ajoute : « Je ne rêve pas d’être millionnaire. Mon rêve, je le vis chaque jour. Je fais des spectacles et les salles sont pleines. Je pourrais m’arrêter, vivre de mes droits, mais j’ai envie de continuer. Je suis un homme d’équipe, j’adore être le chef, le général d’armée, celui qui crie : on y va, en avant les gars! » Il songe déjà à sa prochaine bataille, « Intra muros », prévue au Théâtre 13 en mars. L’histoire d’un metteur en scène venu donner un cours d’art dramatique en prison. En attendant, pour les directeurs aux abois, il fait figure d’homme providentiel. Il est vrai que son prénom, venu du grec, signifie « le secourable ».