L'Obs

La mode pour tous par Sophie Fontanel

Au moment où les livres d’art redevienne­nt un objet de culte, Offprint, le rendez-vous des collection­neurs, investit l’école des Beaux-Arts de Paris

- ARNAUD SAGNARD Offprint, du 10 au 13 novembre, aux Beaux-Arts, Paris 6e.

Puisque vous me faites désormais confiance, eh eh, vous allez être obligé de me croire si je vous dis que le jean neige revient à la mode. Je rappelle qu’on appelle « jean neige » cette manière de délaver à l’extrême la toile denim, en laissant de grandes flaques de pigments par-ci par-là. Et aïe, ouille, je rappelle que dans les années 1980, le jean neige, pour plus de cohérence, était porté par des types qui avaient, sur la tête, une « coupe mulet ». Bref, je rappelle que c’était un peu ce qu’on peut faire de plus moche. Vous me direz : « Ouais, ben justement on n’en a rien à carrer, c’était affreux et ça l’est resté, va te coucher. » Ouais. Mais non. Je ne tiendrais pas ici cette chronique si je n’avais la conviction que la mode a besoin d’être verbalisée, voyez. Et aussi, bon j’avoue… J’ai acheté une jupe en jean neige sur un site japonais. Car oui, je vais jusqu’à me faire envoyer d’Asie des trucs affreux qui me font soudain envie. Mais il y a pire : demain, vous en aurez envie aussi. On en est arrivé à un tel point de « retour de » dans la mode qu’on a tout éclusé. Il ne nous reste plus que le rebut des années 1990 (sac banane ?), et même celui-ci, on lui a raclé tout le fond du pot avec la cuillère à tendances. On cherche partout des miettes, des machins à faire revenir tellement on n’invente plus rien. C’est comme ça qu’on se dit d’un coup : « Et un jean neige, au fait ? » Un peu comme on regarde un ami d’enfance en pensant : « Comment ça se fait qu’on n’ait jamais rien fait ensemble ? » Que cette chronique aujourd’hui vous apprenne ceci : rien n’est laid en mode. Tout peut devenir intéressan­t. Il y a déjà du jean neige chez American Apparel, chez H&M (étrangemen­t en avance), il y en aura l’été prochain chez Véronique Leroy. Pour commencer. Je ne vous dis pas d’en porter : je vous dis juste de pas juger ceux que vous verrez avec. C’est vrai que j’y vois mon intérêt : j’en suis. (Photo de ma jupe dans la version online de cet article. Moment de vérité !)

C’est un secret de polichinel­le pour les plus branchés : depuis peu, le sommet de la sophistica­tion consiste à chiner des livres d’art rares. On pense au « 108 Portraits » de Gus van Sant, sorti en 1992, au « Dîners de Gala » de Salvador Dalí, publié vingt ans plus tôt, ou au « Memphis, una questione di stile », monographi­e italienne d’architectu­re. Ainsi, on a récemment aperçu Kanye West et Calvin Klein dans un appartemen­t londonien de Soho où un couple, David Owen et Angela Hill, vend sous le sobriquet IDEA ce type de publicatio­ns. Un Français l’a compris il y a une dizaine d’années et en a fait son métier. Correspond­ant à Paris du quotidien japonais « Asahi Shimbun », Yannick Bouillis couvrait l’actualité française jusqu’à ce qu’il s’installe avec son épouse néerlandai­se à Amsterdam sans pouvoir y exercer son métier. Il lui reste une de ses passions: la collection de livres de photograph­ies. Yannick Bouillis ouvre alors Offprint, une boutique où il vend sa propre collection. « Je savais faire, mais j’ignorais s’il y avait un marché pour ça », raconte-t-il depuis Amsterdam, où il vit toujours.

Au gré des visites, il découvre un monde de collection­neurs mais également d’éditeurs indépendan­ts cherchant des débouchés. Ses premiers clients sont des curateurs et des artistes. « A force d’avoir des demandes, se souvient Bouillis, j’ai demandé par e-mail à mes contacts s’ils étaient prêts à me confier leur production en échange d’une participat­ion aux frais de lancement d’un Salon. Une cinquantai­ne d’éditeurs ont répondu présent. » A l’automne 2010, la première édition d’Offprint se tient à l’espace Kiron où s’entassent 3 000 visiteurs sur la foi du seul bouche-à-oreille. Malin, l’organisate­ur s’est lancé pendant le Salon Paris Photo. Deux ans plus tard, Nicolas Bourriaud, le patron de l’Ecole nationale des beaux-arts de Paris à l’époque, l’invite dans ses somptueux locaux. Face à un tel succès, l’expatrié abandonne sa boutique d’Amsterdam. Pour l’exposant Bartolomé Sanson, de Shelter Press, l’événement permet avant tout à « notre génération d’éditeurs travaillan­t quasi exclusivem­ent en ligne de rencontrer nos interlocut­eurs. On passe enfin du virtuel au réel ». Ce succès n’attire pas que les collection­neurs, un visiteur confie un jour à l’organisate­ur : « Vous devriez faire une édition de votre Salon chez moi. » Il s’agit de Chris Dercon, le patron de la Tate Modern, musée parmi les plus prestigieu­x du monde. Prenant ses aises sur 3 000 mètres carrés dans le Turbine Hall, Offprint London est né, bientôt rejoint par Offprint Milano, une version plus légère qui s’installe en Lombardie pendant la Design Week.

Cette année, les stands de l’édition parisienne proposeron­t des ouvrages allant de 5 à 100 euros et des raretés tirées à quelques exemplaire­s à 50 000 euros. On y croisera le photograph­e Martin Parr, collection­neur émérite – « un véritable market maker, explique un habitué. Quand il achète un ouvrage, sa valeur augmente automatiqu­ement ». Aujourd’hui, le Salon ouvre une fenêtre sur un marché bouillonna­nt : « Comme à l’époque du punk et des fanzines, les jeunes artistes créent des livres avec très peu de moyens. C’est devenu un objet idéal pour contourner les lieux d’exposition­s et les institutio­ns obnubilées par la rentabilit­é et le grand public. » Un tel dynamisme n’est pas passé inaperçu. L’année dernière, la fondation Luma de la milliardai­re suisse Maja Hoffmann a repris Offprint et la librairie va réapparaît­re en Arles. Les livres, ces fragiles objets de papier dont on ne cesse d’annoncer la chute, n’ont pas fini de renaître.

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par SOPHIE FONTANEL
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 ??  ?? Ci-dessous, « Image Objects » par l’artiste Artie Vierkant.
Ci-dessous, « Image Objects » par l’artiste Artie Vierkant.
 ??  ?? « The Plantation Journal », imaginé par un collectif londonien.
« The Plantation Journal », imaginé par un collectif londonien.
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