L'Obs

HUMEUR

- J. G. par JÉRÔME GARCIN

Il a une tête de vieux bébé hébété. On ne sait plus s’il vient de naître ou s’il est déjà mort. Il grimace comme un primate, roule des yeux de murène, tord une bouche de supplicié et semble vouloir, de sa main folle, attraper dans l’air chaud des mouches imaginaire­s. Phénoménal et spectral Robert Hirsch qui revient, à 91 ans, hanter, en trébuchant, en grommelant, la scène du Théâtre de l’OEuvre. Il n’a même plus besoin de dire son texte, son corps friable parle pour lui et ses innombrabl­es tics, qui feraient passer l’incantatoi­re Malraux pour le paisible dalaï-lama, expriment, beaucoup mieux que des mots, son désarroi, son angoisse, sa rage et ses regrets. « Avant de s’envoler » (jusqu’au 15 janvier), mise en scène par Ladislas Chollat, est la deuxième pièce que le jeune Florian Zeller, 37 ans, a écrite pour lui. La première, c’était « le Père », créé en 2012, où Robert Hirsch incarnait André, un veuf gagné par alzheimer qui retombait en enfance sous les yeux de sa fille. Quatre ans plus tard, il se prénomme toujours André, mais il est marié et père de deux grandes filles. Il joue en effet un vieil écrivain aux longs cheveux blancs qui, malgré quelques infidélité­s racontées dans son Journal intime, partage depuis un demi-siècle l’existence rangée de Madeleine, une épouse attentionn­ée (merveilleu­se Isabelle Sadoyan). Il s’inquiète de savoir ce qu’il deviendrai­t si elle partait avant lui ; ce qu’elle deviendrai­t s’il partait avant elle ; ce qu’ils deviendrai­ent tous deux s’ils devaient partir de chez eux. La pièce, résolument antinatura­liste, multiplie les trompe-l’oeil et les faux-semblants afin, en abolissant la chronologi­e, d’envisager, jusqu’à la folie, toutes les hypothèses. Tel un mort-vivant, Robert Hirsch erre sur le plateau et flotte dans le temps. Enragé ou prostré, il est bouleversa­nt. Aux colères du vieillard qui ne veut pas crever succèdent les abandons du disparu qui a bien vécu. Il est surtout un immense comédien qui refuse de quitter la scène. Encore un instant, monsieur le bourreau. Florian Zeller lui offre ce sursis et l’occasion, une nouvelle fois, de trépigner, de grogner, de vitupérer, de se contorsion­ner, de pleurer. Et d’être ovationné par un public qui remercie aussi le sociétaire honoraire de la Comédie-Française d’avoir été d’inoubliabl­es Néron, Tartuffe, Richard III, Raskolniko­v, Bouzin ou Arturo Ui, d’avoir tant donné au théâtre et de vouloir, avant de s’envoler, lui donner encore davantage.

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