L'Obs

Le dandy journalist­e

OÙ EST VOTRE STYLO ?, PAR TOM WOLFE, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR BERNARD COHEN, ROBERT LAFFONT, 430 P., 22 EUROS.

- DIDIER JACOB

Le problème, avec Wolfe (photo), c’est que d’un crétin il fait un prophète. S’il doit pondre un reportage sur une banale foire aux voitures customisée­s, dans la banlieue de Los Angeles, ça finit en essai enflammé de cinquante pages sur ces obsédés du piston qui passent leur vie à faire qu’une Plymouth ressemble à une Chevrolet, et vice versa. Dans les années 1960, l’auteur du « Bûcher des vanités » n’avait qu’à se baisser pour récupérer les bons sujets. Il va surprendre le patron des usines Playboy, Hugh Hefner, dans son lit monté sur roulettes, une plateforme de 2,20 mètres de diamètre tournant comme une horloge à 50 mètres à l’heure, et commandé par un tableau de bord à multiples boutons. Il débusque Cary Grant, le chéri de ces dames, tandis qu’il déjeune dans un salon de l’hôtel Plaza. Voici qu’une vieille dame s’approche, reconnaît l’acteur et lui annonce tout de go qu’elle restera devant lui, jusqu’au café, rien qu’à le regarder. « Et mettant sa menace à exécution, elle boit des yeux la fossette au menton, le magnifique bronzage qui semble avoir été obtenu avec une rôtissoire, la belle tignasse gris acier […] et les habits Cary Grant, un triomphe de laine peignée, de drap fin et de soie, aussi riche et discret qu’un septuor d’altos. »

Grand manitou du « nouveau journalism­e », Tom Wolfe n’a jamais été en reste sur le complet-veston. Comme lui, ses chroniques, rassemblée­s dans ce volume, sont toujours tirées à quatre épingles. Elles n’ont pas pris une ride, mais les années 1960, elles, ont pris un sacré coup de vieux. Comme il paraît loin, le temps des fêtes insouciant­es, des jeunes inconnus qui allaient devenir des stars (Cassius Clay, Mick Jagger et tous les autres). A lire Wolfe, on se dit que la vie ressemblai­t alors à un club topless dont les danseuses étaient adulées comme les déesses de l’Olympe. Rien ne sera plus jamais comme avant, y compris les seins de Carol Doda, ce mythe féminin aujourd’hui oublié qui apparaissa­it, au Condor Club, tous charmes dehors : « Les seins de Carol Doda pointent dans les airs tels qu’on imagine que ceux d’Electre devaient le faire, non de simples globes de chair féminine, mais des sculptures artérielle­s douées de leur propre vie, des tourniquet­s charnels. »

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